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Yolie Guérard

"I never dreamed the sea so deep,

The earth so dark; so long my sleep,

I have become another child.

I wake to see the world go wild."

― Allen Ginsberg

Suffoquer sous le poids des attentes

ROMAN: La cloche de détresse, sylvia plath

Si je ne m’étais attardée seulement qu’aux détails entourant le livre épais, à son titre, La Cloche de détresse, et à la couleur mauve/rose de la couverture, – une pure brûlure pour mes yeux dans cette édition, de Denoël – je n’aurais jamais réalisé l’ampleur du talent de cette écrivaine singulière. Évidemment, je suppose bien que le choix de Sylvia Plath n’aurait pas été celui d’une couleur aussi douteuse pour un roman qui entretient un discours poignant sur la pente fatale qui fait s’écrouler l’humain. Il faut avouer que son titre, plus intrigant qu’il n’y parait, éveille déjà les soupçons sur l’omniprésence de la douleur dans l’histoire. Celle-ci est construite sous la forme d’une parfaite antithèse : à la fois mélodieuse par sa fantaisie riche en figures de style, à la fois fielleuse pour un cœur endolori et enfermé dans la tête de la protagoniste malade.


Bien que cette autofiction soit romancée, elle se base sur des faits vécus. Sylvia Plath se cache derrière deux identités, accentuant ainsi un certain mystère. D’une part, elle est Esther Greenwood, la protagoniste du roman. De l’autre, elle est Victoria Lucas – pseudonyme de l’auteure –. Une remarquable stratégie de protection pour son entourage qui figure dans le livre, et pour elle-même qui ne valorisait pas son travail. Elle parait placer cette raison au cœur du roman : « Après ça je me suis sentie plus en sécurité. Je ne voulais pas que ce que je ferais ou dirais […] puisse être associé à moi, à mon vrai nom, et au fait que je venais de Boston. » Il semble, par ailleurs, que les idées percutantes de Sylvia Plath ont conduit sa narratrice au bord d’un gouffre, là où elle communique un récit noirci par les pressions personnelles et sociales de l’époque.


La cloche est ainsi l’une de ces noircissures : une image métaphorique, présentant la pression que s’inflige la narratrice. D’un côté, la cloche est un objet bruyant qui permet de signaler sa présence ou sa nécessité à obtenir de l’aide. De l’autre côté, elle représente l’enfermement dans un espace restreint. La narratrice est opprimée par une existence pleine de déceptions et d’angoisse, et la cloche de verre, à laquelle elle fait allusion dans l’œuvre, semble contenir un gaz aliénant qui, à chaque inspiration, rend le sujet plus mélancolique encore. Quoique, durant le séjour de la narratrice à l’asile, après une session d’électrochocs, elle éprouve un certain bien-être : « J’étais purgée de toute chaleur et de toute peur. Je me sentais étrangement en paix. La cloche de verre était suspendue à quelques mètres au-dessus de ma tête. J’étais ouverte à l’air qui circulait. » À ce seul moment, Esther Greenwood peut s’enivrer d’un air moins vicié, en se débarrassant de la cloche asphyxiante. Par une comparaison affreusement réaliste et poétique, la narratrice dévoile la pression qu’elle s’inflige et l’état de détresse et de désespoir dans lequel elle se trouve. On comprend bien que, pour Esther, les jours à venir sont vides et que, malgré un inconfort persistant, le monde continue de tourner, qu’elle en fasse pleinement partie ou pas :

Je voyais les jours de l’année s’étaler devant comme une succession de boîtes blanches et rutilantes, et, entre chaque boîte, il y avait le sommeil, semblable à un voile noir. Malheureusement pour moi, la longue perspective de voiles séparant les boîtes les unes des autres avait soudain disparu, et je voyais les jours, les uns après les autres, briller devant moi, aveuglants, comme une large route blanche, infiniment désolée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Sans compter que beaucoup d’indices montrent une incapacité chez la narratrice à être heureuse en raison d’une lourde pression sociale. Malgré le désir d’Esther d’exceller et de s’épanouir, elle ne parviendra jamais totalement à fleurir pour enfin devenir une femme accomplie, ce qui aurait été possible grâce au succès et à l’amour. Peut-être s’agit-il des attentes d’une époque où la femme n’est pas encore considérée comme l’égale de l’homme? Bien qu’écrite en 1963, l’histoire se déroule dans les années ’50, et malgré l’accessibilité des femmes à l’école et à diverses professions, celles-ci devaient encore lutter pour se faire un « nom » ou pour être publiées en tant qu’auteures. Elles devaient même s’affranchir de la conviction que le mariage est la seule solution aux maux économiques et aux attentes religieuses. D’ailleurs, la peur générée par la propagande valorisant la maternité et l’importance de la virginité jusqu’au mariage produisait une pression accablante. Pour ces raisons, Esther Greenwood ira chercher la protection contre ces idéaux sociaux en s’implantant un diaphragme parce qu’elle déclare que « ce qui [l]'horrifie le plus, c’est l’idée de dépendre totalement d’un homme […] Un homme est libre comme l’air, alors qu’[elle], pour rester dans le droit chemin, [a] un bébé suspendu au-dessus de la tête, comme une épée de Damoclès. » Cette métaphore illustre parfaitement la fatalité que représente, pour Esther, l’idée d’avoir un bébé, celui-ci pouvant brimer sa liberté et son plaisir. De ce fait, on rappellera toujours à une femme qu’elle est moins libre qu’un homme en raison du rôle que lui imposent les particularités génétiques de son corps.


Connaissant la fin tragique de l’auteure, force est pour nous de faire le lien avec son personnage fictif, Esther Greenwood. Si l’espoir naît à la fin du récit pour cette dernière, ce n’est pas le cas de Sylvia Plath qui n’est jamais parvenue à guérir ses blessures et s’est enlevée la vie à 31 ans… Nous pouvons toutefois être intrigués par la mort de l’amie d’Esther, alors que nous avons forcément associé Esther et Sylvia. Pourquoi n’aurait-il donc pas été question du suicide d’Esther étant donné le lourd désir de Sylvia Plath de s’arracher à la vie? Peut-être avait-elle confiance en une quelconque guérison? Ou a-t-elle assouvi un puissant désir d’autodestruction? Il est malgré nous évident que cette échappatoire au quotidien qu’est l’écriture n’a pas suffi à sa libération complète de l’angoisse. Cette histoire autant pénétrante que douloureuse illustre bien le côté suffocant de la vie en société, de même que le poids oppressant des pensées sur le bonheur. C’est ainsi que la compassion s’éveille chez le lecteur puisque l’histoire d’Esther touche les profondeurs fuligineuses de l’individu.

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Sylvia PLATH. La Cloche de détresse,

France, éd. Denoël, coll. Empreinte, 2014, 368 p.

C’est environ à la même époque qu’Esther Greenwood s’exprimera sur ce sujet à son psychiatre, probablement pour se soulager d’un poids. Elle joue également avec la répétition pour prouver son état stagnant sculpté par son mal de vivre : « D’une voix morne et plate […] Je lui ai parlé du fait que je ne dormais pas, que je ne mangeais pas et que je ne lisais pas. Je n’ai pas évoqué mon écriture, qui pourtant me tracassait plus que tout le reste. » Malgré l’écart qui sépare de quelques pages – de quelques jours – le premier rendez-vous d’Esther et le second, et bien qu’il soit écrit différemment, ce passage est répété deux fois, ce qui met l’accent sur son état dépressif. Il faut ajouter que le sentiment d’Esther reste inchangeable puisque sa réticence l’empêche de progresser : aussitôt que des intérêts ou des ambitions se présentent, ils sont rejetés par sa douleur et ses déceptions.

« Par une comparaison affreusement réaliste et poétique, la narratrice dévoile la pression qu’elle s’inflige et l’état de détresse et de désespoir dans lequel elle se trouve. »

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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