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Malika Cadieux

 

« C'est dans l'effort que l'on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire » -Gandhi

Vagues de destinations

Oeuvre: Au péril de la mer, Dominique Fortier

Ma découverte de l’œuvre de Dominique Fortier est récente. Relativement nouvelle dans le milieu littéraire, cette écrivaine a déjà travaillé dans les milieux journalistiques et de l’édition. Et comment mieux la découvrir qu’en se plongeant dans son plus récent roman, Au péril de la mer. Se situant entre le roman et le carnet d’écriture, Fortier a remporté avec ce titre le prix du Gouverneur général en 2016. Elle est une écrivaine québécoise dont l’écriture concise et évocatrice envoûte ses lecteurs. Au fil du récit, elle accouche d’une histoire longuement murie qui nous permet de naviguer dans son univers.


Au péril de la mer comme un sens caché

Le sens du mot peut varier selon l’orthographe qu’on lui donne. D’une part, il y a la mer, se rapportant à l’élément marin ou aquatique. D’autre part, il réfère à la mère, évoquant celle qui porte un enfant. Dans chacun des cas, le terme est associé à la maternité puisqu’il fait allusion notamment au liquide amniotique dans lequel l’enfant baigne durant de nombreux mois de gestation. Autrement, il désigne le monde aquatique. Il s’agit donc là d’une image intéressante à analyser, car dans les deux cas, on se retrouve dans un fluide. Cette précision permet de situer notre lecture dans l’univers marin.


Sa chambre à elle

Le personnage d’Anna dans cette œuvre s’efforce d’exhiber sa véritable essence, c’est-à-dire qu’elle est bien plus qu’une mère; elle est, d’abord et avant tout, une artiste. En fait, elle avoue rédiger pour : « retrouver […] celle qui sait écrire derrière celle qui est capable de consoler, de bercer, d’allaiter, de cajoler, de chanter, de rassurer, de nourrir et de soigner. » Anna voit l’écriture comme une forme d’échappatoire qu’elle traduit par cette phrase, comme un clin d’œil à Virginia Woolf : « Il est ma chambre à moi. » La référence n’est certes pas anodine. Comme Woolf le mentionne dans son roman : « La femme de ménage qui a élevé huit enfants a-t-elle moins d’importance que l’avocat qui a gagné une centaine de livres ? » À vrai dire, Woolf essaie de comprendre le rapport entre les femmes et le roman en soi. Elle pousse son étude dans un ordre d’idées semblable à Fortier dans la mesure où elles se questionnent toutes les deux sur l’influence de la fonction de mère sur leurs vies de femme. Woolf révèle que les femmes n’auraient qu’un seul rôle, qu’une seule utilité : être maman, bien qu’elle ne cautionne pas cette idée. En fait, la définition de la maternité est exprimée clairement dans Au péril de la mer, elle désigne : « Cloître, du latin claustrum, qui signifie « enceinte » », tout comme il est souligné qu’« une femme enceinte, c’est une femme qui est non pas enceinte en quelque chose, mais qui forme elle-même une enceinte. Une femme-cloître. » Autrement dit, elle se retrouve prise dans une situation d’enfermement et, de ce fait, elle est forcée d’assumer de nombreuses responsabilités qu’elle n’avait pas auparavant et qu’elle n’a pas nécessairement souhaité avoir. D’ailleurs, Woolf déclare que lorsqu’une femme devient mère, elle se doit d’oublier tout ce qu’elle a été avant. Dans Au péril de la mer, Anna affirme elle-même qu’elle « collectionnait les mots, certains pour leur sonorité et certains pour leur signification, comme on ramasse des cailloux tantôt pour leurs couleurs et tantôt parce qu’ils sont doux dans la main. » L’écriture constitue, à ses yeux, une échappatoire. Ainsi, chez Anna, c’est une réelle passion qu’elle tente de nourrir dès que l’occasion se présente. C’est un petit monde à elle-même, une chambre à soi, où elle peut être autre chose qu’une simple procréatrice, où elle peut être authentique.


Vers un autre péril

Woolf, dans son roman Une chambre à soi, est tracassée par le fait que les femmes sont réduites au silence et qu’elles dépendent entièrement des hommes. Fortier vient témoigner de cette même réalité, étant donné qu’Éloi, son conjoint, écrit. En effet, il est en partie responsable des livres et de l’abbaye, alors qu’Anna, elle, enfante. Woolf, de son côté, aime à penser que la plupart des poèmes, qui sont écrits sans être signés, sont des œuvres de femmes. Fortier, elle, souligne que les écrits, c’est-à-dire les messages transmis, sont ce qu’il y a de plus important en littérature, peu importe qui en sont les auteur.e.s, femmes ou hommes. Les livres ne mourront jamais, contrairement à nous. Ce qui est primordial, et sur ce point Woolf et Fortier s’entendent, c’est d’être capable d’apprécier toutes les merveilles qui nous entourent, autant les silences que le vacarme des vagues ; les lectures ordinaires de même que les plus audacieuses qui se démarquent du lot. Il s’agit de trouver, comme Éloi, cette œuvre saisissante qui nous aura particulièrement touchés, en ne se basant que sur les manuscrits et non sur le sexe de l’auteur.e. Une œuvre qui aura été rejetée par la mer.

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Dominique FORTIER. Au péril de la mer,

Québec, éd. Alto, 2015, 171 p.

« L’écriture constitue, à ses yeux, une échappatoire. Ainsi, chez Anna, c’est une réelle passion qu’elle tente de nourrir dès que l’occasion se présente. C’est un petit monde à elle-même, une chambre à soi, où elle peut être autre chose qu’une simple procréatrice, où elle peut être authentique.  »

Au cœur des rôles prédéfinis

Anna, qui accouche de son enfant dès les premières pages du roman, se retrouve dans l’impossibilité de s’accorder du temps à elle seule depuis la naissance de celui-ci. Comme elle l’explique elle-même, « quiconque est déjà devenue mère - ou peut-être parent - a connu ce renversement fondamental et irréversible du jour au lendemain, du centre de l’univers, on passe en périphérie. » Autrement dit, la femme doit mettre ses passions de côté pour le bien de sa progéniture. Anna l’évoque dans cet extrait : « Ma fille dort encore, ce qui explique que je puisse être ici, au coin du feu, à siroter un thé aux fleurs. » C’est dans la précipitation que l’écriture doit se faire, puisque la maternité lui demande un temps considérable, ce qui explique l’affirmation qui suit : « ce livre-ci […] ne sera pas associé pour moi à un thé, à un parfum ni à un lieu. Je l’écris à la sauvette ». Sa liberté se voit donc noyée sous la charge de travail.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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