Gabrielle Dussault
« Well-read people are less likely to be evil. » -Lemony Snicket
Les retrouvailles
Il faisait à peine clair lorsque Jim s'était levé ce matin-là. C'était plus tôt qu’à l'habitude, mais il devait se rendre à l'aéroport. Le jour qu'il attendait depuis si longtemps était arrivé : aujourd'hui, il prenait l'avion pour Paris. Il allait finalement voir sa copine, Anna, pour la première fois. Jim se rappelait leurs premières conversations : ils s'étaient rapprochés grâce à leur amour mutuel pour la taxidermie et le tennis. Son cœur s'emballait rien qu'à penser au visage d'Anna lorsqu'elle le verrait! Il pouvait déjà imaginer ses trois grands yeux bleus emplis de joie!
Jim soupira. Assez de rêveries; il avait encore beaucoup à faire. Après avoir forcé sa valise à fermer complètement (ses bottes à plateforme prenaient plus d'espace que prévu), il finit par quitter la maison. Quelques heures plus tard, le taxi le déposait à l'aéroport. Jim regarda la montre située sur son deuxième bras gauche qui affichait onze heures. Il avait encore du temps, mais, comme tout bon citoyen, Jim détestait être en retard. Il se dirigea donc tout de suite vers le comptoir à bagages, où l'employée, dont le large sourire était adouci par une deuxième rangée de dents, le libéra de son fardeau et lui indiqua la prochaine étape.
Contrairement à une grande partie de la population, humaine ou autre, Jim n'avait pas peur de prendre l'avion. Il savait qu'il avait plus de chances d'avoir un accident de voiture que de voir son avion s'écraser. De toute façon, dans ce dernier cas, il avait ses ailes pour le rattraper. Jim arriva à la sécurité. Comme de coutume, il déposa dans un bac gris, soigneusement choisi par l'agent, ses effets personnels : ses chaussures, sa carte d'embarquement, son masque de ski et son passeport. Alors que Jim se plaçait en ligne pour traverser le détecteur de métal, l'homme qui le précédait déclencha l'alarme. Celui-ci, voyant les agents venir vers lui, se mit à s'agiter et à les accuser de « discrimination envers ceux qui ne touchent jamais le sol », le tout ralentissant considérablement le roulement des opérations. Cela contraria Jim, qui avait maintenant peur d'être en retard. Après un certain temps et la disparition du trouble-fête Jim se retrouva aux douanes. À son plus grand soulagement, tout se passa comme prévu. Il présenta au douanier ses papiers et lui donna la goutte de sang obligatoire pour entrer en Europe.
Il était indiqué sur son billet qu’il devait se rendre à la porte 42D. C’était évidemment la porte la plus éloignée. Contrarié, Jim se mit à marcher un peu plus vite. Il aurait pu voler, mais il s’était foulé l’aile droite au cours de sa dernière pratique de tennis. Heureusement, malgré le retard à la sécurité, il n’était pas aussi coincé dans le temps qu’il avait pensé. Il voyait défiler les numéros de portes : 5, 24, 16, 55, 37, etc. Finalement, entre les portes 63 et 46C, se trouvait la sienne. Il aperçut l’avion par la fenêtre : d’un joli ton de jaune fluorescent, il gardait une certaine discrétion. L’embarquement étant déjà commencé, il se plaça en file et finit par embarquer dans l’appareil.
Assis confortablement dans son siège spacieux de classe économique, Jim relaxait pendant que l'équipage effectuait son rituel de décollage. Les agents de bord, fidèles à leurs habitudes, distribuaient des calmants aux passagers nerveux de traverser l'océan. Jim n'en avait pas besoin. Sa rencontre avec Anna le rendait nerveux mais, de toute façon, le vol était de courte durée. Dormir n'en valait même pas la peine, il allait être en Europe d'ici une heure trente tout au plus.
Le pilote devait être pressé, car l'avion atterrit à Paris une heure après le décollage. De plus en plus anxieux, Jim en sortit pour aller récupérer ses bagages. Avec un peu de chance, l'appareil n'avait pas dévoré sa valise comme il le faisait pour les passagers désagréables. Jim voyait son bagage arriver sur le tapis au loin. Comme prévu, son sac était bel et bien intact. Satisfait, il se dirigea vers la sortie. Dans le côté droit de sa poitrine, il sentait son cœur battre. Anna étant supposée l'attendre à cet endroit, il examina la foule. Considérant qu'il n'y avait que trois personnes, elle fut facile à repérer. Dès qu'il l'aperçut, son visage s'éclaira, le sien faisant de même.
Elle l'accueillit avec un sourire qui s'étendait littéralement d'une oreille à l'autre. Jim pensa que c'était un trait absolument charmant. Il la trouva plus jolie en personne. En photo, sa peau perdait de son éclat verdâtre si lumineux, que Jim remarquait pour la première fois. Par contre, il ne savait pas trop quoi faire. Devait-il l'embrasser ? Lui faire porter ses bagages ? Il se décida pour un câlin. Un des avantages d'avoir plusieurs bras est de pouvoir donner d'excellents câlins. L'étreinte terminée, elle lui demanda comment avait été son vol. Il lui répondit :
« Oh, banal. »