top of page

Ton sourire de p’tit cul, celui avec lequel tu préparais des mauvais coups, attirait dans la rue une armée de petits tannants. La vie était douce et belle. Les deux pieds dans la boue, tu pataugeais avec ton sourire extraordinaire. Rien ne t’arrêtait. L’été, nos parents dans les Laurentides, dans le royaume de la nature où les montagnes sont des titans infiniment grands. Pour la pêche, tu étais doué. Tu adorais rester actif. Tu as pratiqué le karaté durant des années, c’en est devenu un mauvais atout. Tu passais tes hivers dans le Nord à descendre les pentes. Les deux pieds sur ta planche, emporté par l’adrénaline, tu t’éclatais dans les airs avant de retomber dans la neige. Combien de skates as-tu brisés? À combien d’arbres as-tu grimpé? Tu te blessais constamment et tu en étais fier. Tu gardais tes amis près de toi et tu n’as jamais cessé de t’en faire de nouveaux. Je te voyais comme un conquérant endossé d’une volonté d’acier, telle une armure. Nul ne pouvait t’arrêter lorsque tu avais une idée.

Ton calvaire a commencé alors que tu mesurais encore quatre pieds. Les règles, tu les maudissais. Tu prônais la feuille de Marley, elle te calmait. Ta virtuosité à la guitare et ta passion pour la musique ont fait naître chez tes proches de l’espoir dans un bel avenir pour toi. À ce moment-là, hélas, tu étais déjà prisonnier d’une spirale dont tu n’es jamais sorti. Je me souviendrai toujours de tes longs cheveux qu’on a tant critiqués. Tu les as finalement rasés pour une jeune fille entêtée. Tu empiétais brusquement sur l’autorité, tu vivais à ta façon et nul ne savait te contenir. Dans les excès de rage, tu recourais à la destruction. Nos parents ont tout fait pour que tu vogues sur le droit chemin et toi, tu allais tout droit vers la tempête.

Te souviens-tu de la Gaspésie? Dans un vieux Jeep ayant miraculeusement survécu au voyage, on a parcouru des kilomètres. Tu ressemblais à un petit métalleux perdu dans la nature. Tu te réjouissais de la vie au bord du fleuve en attendant que ça morde à l’hameçon. Le vent frais, l’odeur de poisson, le ciel azur, tu étais heureux et serein. L’année suivante, c’était l’Ontario. De suivre ta famille en voyage pesait beaucoup sur ton orgueil, mais tu ne l’as jamais regretté. La vue depuis la tour du CN était infiniment belle. Le monde nous paraissait vaste et disproportionné. Tu restais impassible devant les chutes du Niagara, mais c’est certain qu’elles t’impressionnaient.

Tu avais à peine l’âge de conduire quand tu es parti pour la première fois de la maison. Tu trainais déjà dans les bars. Tu vivais à Sainte-Thérèse, dans le village, et tu y as fait ton territoire comme un chat de ruelle aurait fait le sien. Travailler dans les restaurants te rendait fier et solide. En cette fin d’adolescence, tu as à peine goûté à ce plaisir de nager dans l’accomplissement et dans cette eau douce de la légalité. Dans la contrebande, tu faisais beaucoup d’argent, mais tu en as perdu autant en fêtant. Tu attirais les filles, il y en avait toujours une près de toi. Elles aimaient l’assurance que tu dégageais. Tu avais toujours de bonnes histoires à leur raconter. Tu as su rester fidèle aux quelques amours que tu as eues. Malheureusement, tu étais trop désorganisé pour celles qui semblaient les plus responsables.

Pendant de nombreuses années, tu as vécu comme un artiste. La nuit était devenue ton univers. Cette vie engloutissait peu à peu l’essentiel. Tu as tout de même su comment garder tes plus vieux amis et continuer à en rencontrer des nouveaux. La musique électronique a pris doucement une place importante dans ta vie. Tu témoignais d’une de ces rares fiertés à nous exposer ton système de mixage sur lequel tu faisais ta propre musique. Parfois, tu étais assis durant des heures à écouter un beat qui semblait être toujours le même. Tu rêvais de faire partie des grands DJ de Montréal. Tu as animé de nombreuses soirées et enregistré quelques morceaux, mais tu ne pouvais pas gagner ta vie avec ça.

Lorsque venait le temps de garder un travail, la discipline te manquait. Tu ne pensais qu’à aller trinquer le soir avec tes chums au lieu de te coucher tôt pour te lever en forme le lendemain. Quelque chose en toi, probablement une recherche continuelle d’adrénaline, t’empêchait de vivre paisiblement; tu étais toujours appelé à sortir, autant dans les bars qu’ailleurs. L’orgueil, c’est ce qui t’a empêché de demander de l’aide. En janvier dernier, tu as trouvé un nouvel emploi dans lequel tu te sentais confortable et tu envisageais d’entreprendre des projets captivants pour l’année. Tu as de nouveau quitté la maison le mois suivant, cette fois-ci, c’était ton dernier déménagement.

Cette nuit-là, en cette fin du mois d’avril, tu as fêté et trinqué jusqu’à en perdre le Nord. Puis, on t’a rejeté et tu ne l’as pas toléré, mais tu étais devenu incontrôlable. En pleine psychose, tu sentais ton cœur malade se fissurer. Tu te voyais seul, perdu dans une nature morte et tu n’as pas su retrouver le courage qui t’aurait permis de poursuivre ton chemin. La vie te paraissait déjà assez difficile, mais là, tu ne voyais que de la noirceur et du désespoir. Dans un élan de rage, pour mettre fin à tes souffrances, tu as décidé de sauter dans un gouffre profond afin de te libérer. Au cours de ce doux matin de printemps au ciel clair, on t’a vu pour la dernière fois t’enfermer dans ta sombre chambre pour n’en plus ressortir.

Si tu avais eu conscience en ce moment de folie combien on t’aimait, nous aurais-tu quittés comme tu l’as fait?

À mon frère rebelle

Félix Maringer

 

Né le 15 février 1996, Félix Maringer a grandi dans la banlieue tranquille de Blainville. En 2014, il complète un diplôme d’études professionnelles en plâtrage. Voyant qu’il ne souhaitait pas demeurer toute sa vie sur les chantiers, il décide en 2016 de retourner aux études.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

bottom of page