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Rosalie Archambault-Dufourd

 

« Il est vain de dire que les êtres humains devraient se contenter de tranquillité : ils ont besoin d'action ; et ils la créeront s'ils ne peuvent la trouver. » - Virginia Woolf, Une chambre à soi

Le legs de Vickie Gendreau

Oeuvre: Testament, Vickie Gendreau

Lire Vickie Gendreau quand on a dix-neuf ans en 2018, c’est bouleversant. Ce n'est pas comme les livres typiques d’un cursus scolaire où on sent une distance, soit de contexte ou d’époque. Née à peine neuf ans avant moi, l’auteure de Testament est morte il n’y a même pas cinq ans. Comme moi, elle est née à Montréal, et malgré notre différence d’âge, nous avons partagé le même monde. Lorsque j’ai lu Testament, je me suis sentie interpellée. C’est cru, c’est inconfortable, c’est brutal. Mais surtout, c’est honnête. Gendreau m’a transmis son urgence de vivre et sa soif de littérature. Son roman s’adresse à tout le monde, et j’en ai bel et bien hérité. En un seul roman, l’auteure m’a offert le récit de sa mort, mais aussi celui de sa vie. Du même coup, elle m’a livré l’histoire de toutes ces femmes attachées à leur corps et qui, malgré elles, vivront la dégradation de leur image comme une perte de soi.


Testament raconte la route vers la mort de Vickie Gendreau, ou de sa narratrice, condamnée à une vie d’hôpital après un diagnostic de cancer cérébral. Gendreau, dont la carrière de danseuse nue est interrompue par la maladie, se met en scène dans ce roman où l’autofiction et l’autobiographie se confondent. Elle y imagine la réaction de ses proches face à son propre décès. À travers ce récit, l’auteure nous offre des fragments de sa vie. Clouée au lit, elle écrit en urgence ce qu’elle a à dire et s’illustre en tant que femme bien de son époque; obsédée par l’image, sexualisée, brisée. Nelly Arcan, dans Putain, rapportait que le travail du sexe donnait un sentiment de pouvoir et de liberté. On sent cette même perception chez Gendreau. Vers la fin du roman, la scène où elle s’imagine danser devant sa famille et ses amis montre bien qu’elle veut laisser un souvenir comme celui d’une femme puissante et pleinement consciente de sa sexualité : ANNA / Vickie est entrée dans la pièce dripping in gold. [...] Je la regarde tourner autour du poteau avec ses fuck-me boots et ça me calme. C’est ainsi que je veux la voir dans mes souvenirs. Gold et nue. [...] LE FRÈRE / Go, la sœur, t’es la plus forte. [...] C’est de toi dret comme ça que je veux me souvenir. Les jambes enlacées au zénith de la pole. Ma sœur est plus flexible que la tienne.


 

 

En plus d’être une autobiographie, Testament se veut un commentaire sur la vulgarité de la vie. Gendreau crée un personnage quelque peu désabusé, considérant l’existence comme des moments qui s’enchaînent aléatoirement, absurdement. Elle exprime ce sentiment à travers les nombreuses listes qu’on trouve dans le livre, qui prennent la forme de menus d’hôpital ou encore d’énumérations d’événements plus ou moins habituels : Arriver à un bar de danseuses en pick-up rouge de red neck : check. / Être triste : check. / Écrire des nouvelles érotiques inédites pour Stanislas : check. / Client qui sent le patchouli : came. Lip-syncher les paroles de Sexy Sushi sur mon stage : check. / Faire un stage sur « Raise the weapon » et lever la jambe pendant le refrain : check. / Client qui conduit une grosse Benz : came. [...] / Aller à des funérailles en bébé doll : check.


Ici, elle énumère des moments typiques de sa vie de travailleuse du sexe, en les faisant presque paraître comme banals, insignifiants. La narratrice situe les funérailles de son ami comme un événement parmi tant d’autres de son quotidien. Plus haut dans le texte, elle réfléchit sur le suicide de l’ami en question et sur ce qui suit la mort d’un proche : « Je suis restée connectée à Facebook toute la journée. J’ai regardé défiler le fil d’actualité. La vie est vulgaire et elle continue. » On pourrait penser qu’il s’agit d’une peur pour Vickie Gendreau, craignant que sa mort ne passe inaperçue ou qu’on l’oublie trop vite. D’ailleurs, elle exprime son désenchantement lorsqu’elle résume son existence à trois moments forts : « [Vickie] s’est fait violer, est devenue pute puis est morte. » Simple. Rapide. Expéditif. Elle ne s’empêche pas d’être brutale pour dire ce qu’elle a à dire. Pour l’auteure, la vie est cruelle, absurde et vulgaire, mais la mort n’en est pas moins terrifiante.

Que Vickie Gendreau nous a-t-elle légué dans son Testament? Sa propre histoire, certainement. Mais surtout, sa vision du corps, de la femme et de la vie, à un lectorat qui subit les mêmes pressions sociales qu’elle.

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Vickie GENDREAU. Testament,

Montréal, éd. Le Quartanier, 2012, 157 p.

« Du même coup, elle m’a livré l’histoire de toutes ces femmes attachées à leur corps et qui, malgré elles, vivront la dégradation de leur image comme une perte de soi.»

Lorsque son corps malade l’empêche de pratiquer la profession dans laquelle elle dits’épanouir, Gendreau se replie sur l’écriture. Elle choisit de partager sa vie personnelle etraconte les moments les plus privés de son passé. Danse nue, prostitution, viol, peined’amour, tout y est. Dès le début, elle entreprend un dialogue intime avec le lecteur : « Stanislas, ça va toujours être l’homme de ma vie, je ne suis tout simplement pasla femme de la sienne. Je t’expliquerai ça plus tard. Plus tard dans ce petit livre, dans mapetite vie. » Grâce au « tu », le lecteur se sent concerné, voire lié à la narratrice quis’apprête à lui raconter une histoire. L’auteure décide donc de se mettre à nu danscette autobiographie, comme elle le ferait sur le stage. On la voit déshabillée dans ses poèmes, dans sa prose. C’est sa façon à elle de se sentir en vie, même dans la mort.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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