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Roxanne Michaud

 

« Je ne peux pas dire qui je serai demain. Chaque jour est neuf et chaque jour je renais. »  -Paul Auster

Premier juillet. Boulevard St-Michel, Montréal.

 

La journée nationale du déménagement, sur la rue, les gens se pressent dans un brouhaha régulier. Un homme descend l’escalier en colimaçon en tenant un immense écran plat dans ses bras, une femme, probablement la sienne, lui disant de faire attention. À quelques mètres, un jeune homme soulève le côté d’un sofa bleu foncé, impatient, il s’exclame en espagnol à un homme à l’intérieur de l’appartement « apurate padre! ». Puis, une voiture s’arrête : c’est la pause dîner pour un groupe de déménageurs. Une vaillante femme sort de la voiture, cachée par la montagne de dix boîtes graisseuses empilées dans ses bras, et crie d’un ton victorieux : « pizza! » La femme invite les latinos à se joindre à eux, ceux-ci déposent leur sofa en plein milieu du trottoir, puis le plus jeune court chercher une caisse de bières. Le soleil plombe sur Rosemont.

Assise près de la fenêtre du salon, je regarde ces gens qui se préparent à quitter leur appartement pour un autre. Ils déménagent, peut-être seulement quelques rues plus loin. Peut-être qu’ils déménagent à l’autre bout du pays aussi. Je regarde mes valises éparpillées sur le sol, moi aussi je pars. Je retourne en France. Cette terre qui a bercé mes ancêtres et mes premiers souffles. Ma mère ne cesse de me répéter qu’il s’agit du retour aux sources, à mes racines et qu’enfin toute la famille sera réunie. Mais maman, pourquoi suis-je donc envahie d’un mélange de joie et de crainte quand je regarde ces gens qui déménagent? Je quitte Montréal, ma ville d’adoption depuis près de quinze ans. Le plus ironique, pourtant, c’est que je me suis toujours revendiquée Française parce que j’étais née là-bas et que j’y allais à tous les ans. Évidemment, j'ai l’accent que mes parents m’ont transmis, truffé avec les années de « pi » et de « là », si bien que lorsque je vais en France, mes amies me disent que je parle comme une Québécoise et lorsque je suis ici, je ne suis pas incluse dans cette dénomination. Du coup, j’ai l’impression de n’avoir ma place nulle part. Ici, je ne suis pas Québécoise et dans mon cœur, je ne suis pas Française.

La France, c’est le pays de mes parents, en fait. Et si je ne me sentais pas chez moi là-bas? Déménager là-bas, ce n’est pas la même chose que d’y voyager. Et si je n’étais devenue qu’une étrangère? Une errante qui ne peut pas se résoudre à entrer dans ce moule de frontière.

Le taxi m’attend.

 

4e arrondissement, Paris.

Voilà une semaine que je suis arrivée, le retour au pays est un soulagement. L’angoisse s’est rapidement transformée en curiosité. Mes derniers voyages se résumaient essentiellement à visiter la famille alors que maintenant j’ai du temps, beaucoup de temps. Je ne peux pas dire que la France est ma patrie, mais je trouve une douceur dans la vie parisienne. Le café crème, les « soirées terrasses » interminables, la douce odeur du pain, l’amour de la langue française et la vivacité des Français. Puis, il suffit de se balader dans les rues de la Ville Lumière pour apprécier la richesse historique de ce peuple. La différence est que, désormais, je ne fais plus que regarder, je comprends. Notre-Dame-de-Paris n’est plus qu’une cathédrale magnifique à photographier. Maintenant, je revoie les mots de Victor Hugo sur celle-ci et le rôle qu’il a joué dans sa rénovation. Je repense à mes professeurs qui nous parlaient de lui et des grands auteurs français. Nous écoutions nos cours les yeux remplis d’étoiles. Et voilà que je visite leur ancienne maison et que je marche dans les rues où ils ont marché des années auparavant. Je visite Paris ainsi que ses fantômes. Ces auteurs que j’ai étudiés et analysés pendant deux années… au Québec. Ironique, n’est-ce pas? La jeune expat’ qui étudie son héritage à plus de 5000 kilomètres pour finalement rentrer le découvrir.

Entre deux mondes

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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