Maya Gauvreau-Cadieux
Rêvant d’avoir un jour l’occasion de discuter avec Alessandro Baricco et de lui paraître cultivée, Maya Gauvreau Cadieux choisit de continuer dans cette branche qui a su lui plaire en appliquant au programme d’études littéraires de l’UQAM. C’est donc à l’automne prochain que la jeune femme s’aventurera sans certitudes réelles dans l’océan montréalais avec comme bouée les connaissances transmises par toutes et tous ses professeur.es.
Je me souviens...Le Vietnam
OEUVRES: Ru, Kim Thuy
Il existe de ces auteur.e.s qui manient si bien la langue que les pires horreurs et les plus grandes beautés arrivent à se côtoyer de façon tout à fait naturelle. Les tragédies peuvent être des occasions pour ces artistes de jouer avec les mots d'une telle manière que ce qui semble à première vue complexe devient accessible à tous. Un bon exemple de ce type d'exploit réside dans l'œuvre Ru de Kim Thuy, publiée en 2009. Le roman, fortement inspiré de la vie de l'écrivaine, relate les expériences vécues par une jeune Vietnamienne à l'époque de la guerre qui opposait le Nord et le Sud de son pays. Racontée à un rythme rapide et dans un français envoûtant, l'histoire est captivante et particulièrement émouvante.
Dans ce pays de chaos, même le langage a été altéré. Selon la région, un vocabulaire nouveau
s’est créé, puisque ces mêmes territoires ont, d’un coup, fait face à une réalité totalement différente de celle qu'ils connaissaient. Des mots qui n’avaient jamais été utilisés avant, notamment ceux en lien avec les stratégies de guerre ou les techniques pour soigner une blessure par balle ou à la suite d’une explosion, faisaient dorénavant partie des expressions quotidiennes.
Le génie de l’œuvre repose non seulement sur la voix donnée à ce peuple silencieux, mais aussi sur cette capacité à distinguer l’individu de la masse. La narratrice réussit à nous faire réaliser que, malgré tout, les expériences et les réactions sont différentes d’une personne à l’autre, et ce, en nous présentant l’histoire des gens qu’elle rencontre au cours de son cheminement. À l’aide de Monsieur Mihn, Monsieur An, Oncle Seize, Sao Mai, les parents de la narratrice et plusieurs autres personnages, le portrait d’une mémoire individuelle s’érige.
Les réfugiés qui ont immigré au Québec n’ont pas les mêmes expériences que ceux qui ont dû rester au pays. De même que les boat people qui ont eu un trajet qui s’est bien terminé, compte tenu des circonstances, n’ont pas gardé les mêmes souvenirs que ceux qui ont croisé des pirates sur leur chemin. Le père de la narratrice a emmené sa famille sur un bateau pour tenter de leur assurer un avenir. Son oncle, quant à lui, a dénoncé ses fils qui tentaient de s’échapper du pays probablement par peur de les perdre, ne supportant pas l’idée de les voir traverser l’océan. Dans un monde où tous les points de repères ont disparu, chacun trouve sa manière bien propre de s’accrocher à la vie et à ceux qu’il aime. Monsieur An détaillait mentalement les nuances de bleu dans le ciel pour survivre; Monsieur Mihn écrivait constamment pour rester en vie. Il s’agit d’une réalité difficilement imaginable, mais elle devient soudainement tangible à travers ces personnages aux habitudes qui se rapprochent des nôtres.
Lorsque la protagoniste revient au Vietnam, elle comprend « [qu’elle] n’[a] plus le droit de [se] proclamer Vietnamienne parce qu’[elle] [a] perdu leur fragilité, leurs incertitudes, leurs peurs ». Son expérience de l’immigration l’a viscéralement transformée. Bien que son lieu de naissance lui soit intrinsèque, tout de sa personne la distingue du peuple qui était autrefois sien. Elle ne partage plus les mêmes rêves, la même langue, ni même la même posture que les Vietnamiens. Au Canada, elle n’est pas considérée comme une Canadienne dû à son immigration. Pourtant, dans son pays natal, elle n’est pas davantage reconnue comme une Vietnamienne.
La guerre dénature, déracine et transforme ceux qu’elle touche, de façon à ce que ces derniers ne se reconnaissent plus nulle part. Ru est un fidèle rapport de la complexité des effets d’une telle tragédie, mais écrit avec une qualité indiscutable qui le rend accessible à un large public.
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Kim THUY. Ru, Montréal,
éd. Libre Expression, 2009, 145 p.
« Dans un monde où tous les points de repères ont disparu, chacun trouve sa manière bien propre de s’accrocher à la vie et à ceux qu’il aime. »
Le premier roman de Kim Thuy sert de témoignage pour une population complète. Toutes les atrocités passées sous silence sont expliquées d’une manière étonnement douce : « Ailleurs, les gens sont trop préoccupés par leur survie quotidienne pour prendre le temps d’écrire leur histoire collective ». Cette phrase à elle seule nous fait comprendre la place qu’occupait cette tragédie chaque jour dans la vie des Vietnamiens. La guerre du Vietnam, ce n’est pas seulement une horde de soldats cachée dans la jungle, c’est surtout un peuple qui a tout perdu. Cette tragédie englobe « […] l’ensemble de toutes ces femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos pendant que leurs maris et leurs fils portaient les armes sur le leur ».