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Lysanne Vermette

 

« On rencontre souvent sa destinée par les chemins qu’on prend pour l’éviter ». -Jean de la Fontaine

Se haïr, se faire vomir et recommencer

Mon obsession pour la minceur s’est enracinée alors que je fêtais tout juste mes quatorze ans. Je me rappelle que le pèse-personne jusqu’alors rempli des poussières de la salle de bain est à la fois devenu mon meilleur ami et mon pire ennemi.

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Je me sentais bien, terriblement bien, quand je voyais enfin les chiffres fondre sur la balance.

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État stable.

Je repense à ce mélange d’humiliation et d’amertume que j’éprouvais juste en voyant le nombre rester le même.

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Peu m’importait d’avoir constamment le cœur au bord des lèvres ou d’avoir des maux de tête fréquents, pourvu que j’arrive à me sentir mieux dans ma peau.

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L’important était que j’arrive à faire taire la petite voix dans ma tête qui me suppliait de perdre ces satanées livres que j’avais en trop.

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Mon plus gros problème a été de ne pas savoir quand m’arrêter. Étrangement, je ne me sentais pas encore satisfaite quand, le regard paniqué, on me disait à quel point j’avais perdu du poids. Je me sentais tout aussi contrariée quand, tard le soir, incapable de dormir, j’effleurais doucement la peau de mes doigts et que je sentais à peine quelques reliefs de mes os. Ce n’était pas encore assez. Je voulais tellement être parfaite. Aujourd’hui, je comprends enfin que c’était une obsession. Une obsession qui me grugeait de l’intérieur. Une obsession malsaine et surtout maladive. Celle de me regarder dans le miroir et de ne pas détourner les yeux. Signe que je me serais finalement délestée de cette honte qui me collait à la peau.

Pendant tout le temps qu’a duré ma relation destructrice avec mon propre corps, je me suis dégoûtée, insultée, flagellée et martyrisée. Je me suis négligée pour mieux m’aimer. Plus je me sentais faible et en détresse, plus j’avais enfin l’impression que mes efforts portaient fruit. En mon for intérieur, j’étais persuadée que plus je me torturerais, mieux je me sentirais. Quelle illusion perverse…

J’endosse avec difficulté le rôle de victime, car je sais maintenant que je n’ai pas été la seule à souffrir de mes agissements. J’ai inquiété, blessé, terrifié. C’est avec douleur que je me rappelle la souffrance dans les yeux de ma mère lorsque je refusais catégoriquement de manger sous prétexte que je n’avais pas faim. Je me rappelle aussi la fureur dans les yeux de mon père en raison de sa propre impuissance. Il n’avait pas su sauver son enfant de certaines horreurs de la vie. Je me rappelle l’incompréhension dans les yeux luisants de larmes de ma petite sœur lorsque, se tenant derrière la porte de la salle de bain, elle m’entendait rendre les rares bouchées que j’acceptais d’ingérer. Je n’oublie pas non plus l’affliction dans les yeux de Myriam, ma meilleure amie, qui s’en voulait terriblement d’avoir attendu que je frôle la mort pour enfin m’inciter à entreprendre des démarches pour me venir en aide. Toutes ces personnes m’aimaient d’un amour inconditionnel. En échange, je leur ai offert de nombreuses nuits d’insomnie, des crises d’angoisse et des excès de larmes que j’aurai beaucoup de mal à me pardonner.

Mais aujourd’hui, après trois ans d’épuisement à me mener une guerre sans pitié, j’exige enfin une trêve. Je jette les armes devant mes exigences trop élevées. Je capitule devant ce besoin maladif de l’image que j’avais de la perfection.

Désormais, j’accepte de faire la paix avec le reflet dévastateur que me renvoyait mon miroir, et qui trop longtemps, m’a accablée.

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Désormais, je laisse derrière moi le dégoût et l’embarras de mes cuisses trop grosses ou de mon ventre trop peu plat.

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Désormais, je renonce à ce souhait malsain qui me poussait à vouloir porter de l’extra small ou un short de taille 0.

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Désormais, je demande pardon à mon corps de l’avoir privé de tant de choses. D’amour, de nourriture, de santé.

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Désormais, je regrette ce sentiment de bien-être que me procurait la sensation de brûlure dans mon œsophage après m’être fait vomir.

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Désormais, et non sans gêne, j’admets avoir souffert de troubles alimentaires. 

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Désormais, loin d’être complètement guérie, je promets de réapprendre à m’aimer, un jour à la fois.

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Désormais, je promets que je ne me laisserai plus apprivoiser par la mort pour comprendre à quel point, au fond, j’ai de la chance d’être en vie.

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© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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