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Catherine Girard

J’ai écrit ce texte sur la culture de masse surtout pour tester mes limites. Je ne prétends pas être une intellectuelle de nature, mais rien ne m’empêche d’essayer de le devenir : critique, rationnelle, posée. À l’opposé de ce que je suis; vive et incertaine...

L'intellectualisme d'ambiance

Facteurs favorables

Rien ne favorise davantage l’anti-intellectualisme que la culture de masse dans laquelle se prostituent les sociétés postmodernes. « Les penseurs post-modernes se situent dans la perspective de surmonter le désenchantement du monde[i] », avance l’auteur de l’article «Postmodernité» de Wikipédia, après l’échec des « utopies révolutionnaires[ii] » du Siècle des Lumières. L’inefficience de ces idéaux révolutionnaires (l’exercice de la raison, la foi dans le progrès de l’humanité, l’usage de la pensée critique et la recherche du bonheur par le travail) à légitimer l’existence humaine provoque un désir collectif de s’émanciper de ces valeurs traditionnelles. Il y a remise en question à l’échelle collective du concept de « vérité comme valeur transcendante[iii] ».

Idéologie

Pourquoi croire en des vérités, alors que les idéaux humanistes des siècles précédents ont échoué à prévenir les pires atrocités? La Première et la Seconde Guerre mondiales troublent profondément la conscience collective et sont les éléments déclencheurs d’un vide idéologique important. Des sociologues contemporains interprètent comme de la résignation sociale cet affranchissement citoyen de la morale, des métarécits, des idéaux politiques et de la religion.

Déconstruction culturelle

De cette tentative de déconstruction idéologique s’ensuit sur le plan culturel un « discrédit général jeté sur les savoirs traditionnels[iv] », ainsi qu’un « effondrement de la hiérarchie en arts[v] ». Tout s’équivaut sur le plan culturel et idéologique, puisqu’il n’y a rien qui puisse légitimer l’existence humaine. Dès lors, l’esthétique postmoderne renie les valeurs de la culture classique (basées sur la reconnaissance des métarécits, des textes fondateurs) en réduisant la culture actuelle à ce qui est rapidement assimilable et jetable : la culture de masse. Une esthétique de rupture. Une culture issue du vide, ne proposant que sur des absurdités pour répondre à la crise existentielle de la deuxième moitié du XXe siècle.

Changement de paradigmes

La montée du capitalisme moderne vers la fin du XIXe siècle favorise également le développement de la culture de masse. La lutte des classes au moment de la Révolution industrielle bouleverse les hiérarchies sociales et témoigne du « triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse[vi] ». L’argent devient rapidement synonyme de reconnaissance sociale. La vertu (prudence, tempérance, force d’âme et justice), jadis associée à la noblesse, n’est plus un passeport pour cette reconnaissance sociale. Les individus se reconnaissent dès lors entre eux par leurs possessions matérielles, non plus par leur caste ou leurs qualités vertueuses. Ils deviennent consommateurs. Le système économique accorde un pouvoir nouveau aux citoyens, pouvoir qu’ils paient à leur insu de leur individualité, « l’égalité des conditions se substituant à l’égalité des droits.[vii] ». Démocratie et pouvoir économique sont confondus. Le fait que chacun puisse contrôler son existence matérielle ne rend pas nécessairement la société égalitaire. Il s’agit plutôt d’objectification des individus mêmes, puisque le consommateur devient LE produit. Son potentiel d’investissement (en tant qu’acheteur) fait de lui une source de revenus pour les industries marchandes. De là l’émergence d’une culture marchande, soumise aux « exigences du marché[viii] ». L’industrialisation de la culture. La recherche de profits régit la créativité. L’avènement des sphères médiatiques dans la deuxième moitié du XXe siècle ne fait qu’accélérer ce processus d’industrialisation culturelle.

Le consommateur (qui-se-croit) roi ou Le roi nu

Le but premier de la culture de masse est de satisfaire le consommateur en le confortant dans ce qu’il est pour le voir acheter. Le rôle de cette culture n’est donc pas de stimuler intellectuellement l’individu, mais de le pousser à la consommation :

Ivre de pouvoir, le spectateur devient du même coup l’esclave de sa volonté, le captif de son propre pouvoir discrétionnaire. Bouclé dans sa demande, livré à la satisfaction immédiate de ses envies ou de ses impatiences, prisonnier du zéro délai, l’homme à la télécommande n’est pas condamné à être libre, il est condamné à lui-même par sa fatale liberté. Rien ne lui est interdit, sauf peut-être d’être lui-même interdit ou interloqué.[ix]   

L’individu-consommateur est encouragé à revivre constamment les mêmes expériences culturelles ou politiques, pour ne jamais dévier de sa zone de confort. Le familier devient rassurant pour la plupart des gens, puisqu’il ne demande aucun effort d’appréhension ou de progression. C’est ainsi que se conforte le système de la culture de masse.

Acculturation et bavardage

Le besoin infantile de satisfaction immédiate que cherche le consommateur lui donne l’illusion d’un savoir instantanément acquis, ce qui suppose par le fait même que n’importe quelle opinion vaut celle du savant, délégitimant ainsi toute parole d’experts. La culture marchande favorise l’effervescence de phénomènes aussi irrationnels que le bavardage, la téléréalité, le sensationnalisme et celui de la culture d’opinion. Le bref survol d’un article lu au hasard suffit pour s’improviser expert sur un sujet. Tous peuvent se prétendre savant spontané sur Facebook. Qui n’a pas déjà joui de ce pouvoir d’expression sur les réseaux sociaux? J’avoue ma propre vanité en la chose. Difficile de résister au besoin de satisfaction narcissique que fait naitre en nous ces réseaux, surtout quand la sphère médiatique les valorise pour en faire profiter ses industries.

Une démocratie tyrannique

Des connaissances ne peuvent être fondées que si d’autres existent pour les valider ou les réfuter. Or, la culture de masse censure par excès de sollicitation publicitaire tout ce qui déroge du facilement assimilable, pour éviter au consommateur le spectacle de sa propre médiocrité. Les initiatives des experts sont bafouées par le discours ambiant. Tout langage compliqué est perçu par la masse comme une « tentative d’inégalité démocratique[x] », comme si on portait préjudice à la démocratie en parlant autrement que par le langage de l’accessibilité. L’opinion, issue du discours émotif, ne nécessite pas de réflexion. Ce refus de s’ouvrir à un réel autre que celui mené par les médias conforte le système de la culture de masse, invitant le consommateur à la « rapidité[xi] », à « l’immédiateté[xii] » et au « manque de méditation[xiii] », l’appréciation du produit culturel périssable gratifiant son attitude passive face à la connaissance.

Engagement

Ce texte sur la vanité du langage marque mon désir d’investissement auprès de la mince communauté d’intellectuels survivant à la postmodernité. Ma condition de néophyte m’intimant le devoir de toujours recourir au « fondement de ce qui est dit[xiv] » dans l’objectif d’une « compréhension authentique[xv] » de mes sphères d’intérêt. Je m’engage à m’acharner sur ce travail « de très longue haleine, qui demande beaucoup de savoir, de la modestie devant sa propre ignorance et de la générosité pour les idées nouvelles[xvi] » qu’on nomme la rigueur intellectuelle. J’accepte de renoncer à mon besoin infantile de satisfaction immédiate. Je manifeste le désir d’« acquérir à la fois le vocabulaire spécialisé et la somme de savoir qui correspond[xvii] » à mes aspirations, afin de devenir une penseure critique. Tels sont mes vœux d’ascétisme intellectuel…

 

[i] WIKIPEDIA, « Postmodernité », 2018. https://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9 (Consulté le 15 février 2018).

[ii] Ibid.

[iii] Ibid.

[iv] Michel NEPVEU. Communication et cultures étrangères, notes de cours, hiver 2017.

[v] Loc. cit.

[vi] WIKIPEDIA, « Histoire du capitalisme », 2018. https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_capitalisme (Consulté le 15 mars 2018).

[vii] Claude JAVEAU.  Les paradoxes de la modernité, France, éd. P.U.F., 2007, 176 p., p.17.

[viii] Christopher LASH. Culture de masse ou culture populaire?, France, éd. Climats, 2001 [1981], 77 p., p.32.

[ix] Alain FINKIELKRAULT et Paul SORIANO. Internet, l’inquiétante extase, Paris, éd. Mille et une nuits, 2001, 93 p., p.26.

[x] Judith VIENNEAU. « Judith Vienneau rencontre Jean Larose », Canada, 2011, https://vitheque.com/en/titles/judith-vienneau-rencontre-jean-larose-ecrivain (Consulté le 20 février 2018).

[xi] Ibid.

[xii] Ibid.

[xiii] Ibid.

[xiv] Martin HEIDEGGER, L’être et le temps, Paris, éd. Gallimard, 1964, 324 p., p.208.

[xv] Ibid.

[xvi] Normand BAILLARGEON, Petit guide d’autodéfense intellectuelle, éd. Lux, Montréal, 2005, 344 p., p.45.

[xvii] Loc. cit.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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