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Peu de gens, hormis ceux du milieu littéraire, prennent la décision déconcertante de lire l'un de nos auteurs français les plus lucides des temps modernes, et ceux qui y parviennent sur le conseil d'un ami ou par simple hasard de la vie sont toujours surpris et déstabilisés après une première lecture. Il n'y a pas d'autre réaction possible après la lecture d'un roman de Michel Houellebecq. Sa nette compréhension de notre monde heurte de plein fouet tous ceux qui s'aventurent dans son univers, certains pour le mieux, certains pour le pire, mais il n'y a jamais d'entre-deux.

 

Le capitalisme engendre une lutte

Dans le roman Extension du domaine de la lutte, Houellebecq se met en scène dans la peau d'un « [a]nalyste programmeur dans une société de services en informatique ». Ce personnage, figure de l'antihéros qui ne réussit pas à atteindre ses idéaux, éprouve des difficultés à être heureux dans sa société, gouvernée par le « libéralisme économique », et ce, en raison des valeurs qui régissent ce système économique, qui sont l'accumulation de richesses financières et la puissance sexuelle. La réussite de ces deux valeurs est le seul accomplissement personnel possible sous le capitalisme. D'ailleurs, au début du roman, le narrateur trace un portrait général de lui-même, portrait qui ne tient compte que du salaire et de la sexualité : « mon salaire net atteint 2,5 fois le SMIC; c'est déjà un joli pouvoir d'achat. [...] Sur le plan sexuel, par contre, la réussite est moins éclatante. »

Ces valeurs sont l'axe central d'une lutte qui s'étend à toutes les sphères de la société dans laquelle évolue le narrateur pour devenir l'être le plus riche et le plus beau :

En système économique libéral, certains accumulent des fortunes considérables; d'autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante; d'autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. 

 

Face à cette lutte, tous n'ont pas les mêmes chances de réussite, et seuls les meilleurs y parviennent. C'est toutefois le hasard qui décide des vainqueurs: ceux nés avec des parents riches ou avec un physique parfait. Totalement injuste, cette lutte cause l'insuccès du protagoniste.

 

La lutte engendre des valeurs malsaines

Cette compétition impitoyable a pour effet de détruire progressivement les relations sociales entre les individus, en centrant ces relations sur l'hypocrisie, la haine et l'égoïsme. L'aspect hypocrite de ces relations gouvernées par la lutte s'étend sur toutes les relations, mais plus particulièrement sur les relations professionnelles, comme il est possible de le constater lorsque le personnage discute de sa dépression avec son chef de service :

[Il] accuse le coup, puis se reprend. Ensuite, l'entretien ronronne agréablement pendant une demi-heure, mais je sais que dorénavant s'est élevé entre nous comme un mur invisible. [...] De toute façon, je sais qu'ils vont me renvoyer, dès que mes deux mois légaux d'arrêt maladie seront épuisés; c'est ce qu'ils font toujours, en cas de dépression; j'ai eu des exemples. [longue citation]

Le chef de service ne laisse rien paraître de son opinion dénigrante envers le personnage et de sa décision de le renvoyer et est, en apparence, cordial avec ce dernier. Une antipathie régit ainsi les relations, et cette haine envers autrui, perçu comme un rival, se poursuit « à tous les âges de la vie », puisqu'« en vieillissant on devient moins séduisant, et de ce fait amer. On jalouse les jeunes, et de ce fait on les hait. » La compétition sexuelle et monétaire régissant le mode de vie capitaliste prend une dimension exagérée dans la société du personnage principal, et provoque par conséquent l'établissement de valeurs toxiques pour l'humanité.

 

 

Aux relations absentes, vie manquée

Quels sont les effets réels de ce manque d'interconnexions, de cette dépression chez le protagoniste ? Le sentiment qu'il a raté sa vie, tout simplement. Les dernières phrases du roman sont le témoignage de ce destin tragique:

Je suis au centre du gouffre. Je ressens ma peau comme une frontière, et le monde extérieur comme un écrasement. L'impression de séparation est totale; je suis désormais prisonnier en moi-même. Elle n'aura pas lieu, la fusion sublime; le but de la vie est manqué. Il est deux heures de l'après-midi. [longue citation]

Michel Houellebecq, à travers son personnage d'antihéros, met en lumière le déclin de sa société capitaliste: celle-ci n'est pas adaptée aux besoins essentiels de l'individu qu’est l'établissement de relations sociales saines. Il n'y a pas d'échappatoire à ce système. La lutte prend le dessus sur l'individualité. Fausse impression de liberté: Nous sommes prisonniers d'un système qui détruit le fondement même de l'humanité petit à petit, sans que personne ne fasse cesser le mouvement fatal de cet engrenage.

 

Le jour où vous serez dans cette situation vous aussi, quand rien n’aura plus de sens, quand vous aurez la certitude d'avoir raté votre vie, ne soyez pas surpris: Houellebecq vous aura prévenu.

Aux valeurs malsaines, relations absentes

Cette corruption des valeurs sur lesquelles sont fondées les relations interpersonnelles cause l'effacement de ces relations. Plusieurs effets négatifs deviennent alors observables chez l'individu qui souffre de solitude. Dépourvus de rapports sociaux, certains personnages du roman développent des maladies mentales, telle la dépression chez le protagoniste. Celui-ci se retrouve vers la fin du roman interné dans un hôpital psychiatrique pour cette raison. Il observe les autres patients de l'établissement à l'heure du repas, servis en commun : « Aucune parole n'était prononcée; chacun mastiquait sa nourriture. » Interné dans ce lieu de contradictions, où le groupe est composé de plusieurs êtres retranchés en eux-mêmes, le narrateur établit le constat que « tous ces gens - hommes ou femmes - n'étaient pas le moins du monde dérangés; ils manquaient simplement d'amour. » L'amour est une valeur inhérente au bien-être de l'homme, mais, dans une société capitaliste qui corrompt les relations humaines, ces valeurs sont remplacées par la haine et l'hypocrisie, sentiments destructeurs de valeurs saines.

Sa nette compréhension de notre monde heurte de plein fouet tous ceux qui s'aventurent dans son univers, certains pour le mieux, certains pour le pire, mais il n'y a jamais d'entre-deux.

Chloé Dassylva

Issue d'un génocide intergalactique provoqué par une fissure hydrogénique spatio-temporalisée, Chloé s'échappa parmi 177 micros milliards d'organismes dont perdurent encore aujourd'hui l'eau et la sauce à poutine. Toujours assistée de ses xénophrégites, elle poursuit son ambition primaire : produire une réaction alchimique susceptible de renverser la vitesse naturelle d'entropie de l'univers.

Houellebecq, contre la lutte, contre la vie

Oeuvre: Extension du domaine de la lutte de Michel houellebecq

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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