Marilie Cantin
« Toi, dit-il, tu es quelque chose de terriblement réel dans un monde qui est terriblement faux. Et c’est pour ça, que je pense, que tu souffres tellement. » - Guillaume Musso.
La course d'une vie
Oeuvre: La promesse de l'Aube, Romain Gary
Mon père m’a toujours dit que je pouvais être ce que je voulais dans la vie. Que je devais faire ce qui me rendrait heureuse. Ma voisine, elle, subissait la pression de ses parents pour être la meilleure gymnaste et elle s’entrainait excessivement fort pour y parvenir. Devant son talent, j’ai longtemps été jalouse du fait que ses parents l’aient poussée comme ils l’ont fait, alors que les miens me laissaient faire ce que je voulais. J’étais une touche à tout, bonne en beaucoup de choses mais excellente en rien. Ce n’est bien sûr pas le cas de ma voisine qui est maintenant une gymnaste plusieurs fois médaillée. Je me demande à quoi ressemblerait ma vie si ma famille m’avait poussée à devenir quelqu’un. Est-ce que je serais moi ? Ou serais-je seulement le miroir de leurs attentes démesurées? Dans La promesse de l’aube, Mina, la mère de Romain, va orienter la vie de son fils pour qu’il réussisse là où elle a échoué. Elle va avoir d’énormes attentes envers son fils, qui certes deviendra le Romain Gary que nous connaissons aujourd’hui. Mais qu’en est-il de celui que nous n’aurons pas connu? Il a répondu aux espérances de sa mère lorsqu’elle lui fit la promesse suivante, alors qu’il était petit : « Tu seras un héros, tu seras général…ambassadeur de France. »
Un tournant dans une vie
La naissance de Romain fut pour Mina le signe d’un nouvel avenir. Elle dut fuir sa carrière d’actrice et sa vie tant désirée et, alors qu’elle tombait enceinte, son mari la quittait pour une autre femme. Mina fut donc laissée à elle-même, pauvre, et sans rêves : « Votre mère aurait dû faire le Conservatoire; malheureusement, les événements ne lui ont pas permis de développer son talent. Et puis, dès votre naissance, jeune homme, en dehors de son fils, rien ne l’intéressait vraiment ». Cette vie désormais derrière elle, elle projeta ses rêves de grandeur sur l’avenir de son fils et comme sur un acétate, elle marqua au crayon permanent et avec détermination la revanche de sa vie sur celle de celui qui était devenu le centre de son univers. Mina passa son existence à éduquer son fils et à tout faire pour qu’il ne manque de rien. Vivant seule, sans attaches, n’ayant d’autre désir que celui de voir son enfant réussir.
La limite de l’ambition
Les raisons pour lesquelles la mère de Romain est si exigeante envers lui sont ambiguës pour les lecteurs et les lectrices, jusqu’à un moment décisif dans le roman et dans la vie du narrateur. Au moment où l’amour d’une mère surpasse les ambitions qu’elle a pour son fils, lorsque la confiance qu’elle accorde à ses prouesses est à son apogée, nous pouvons constater la véritable nature de cette passion maternelle. Mina est convaincue que son fils peut tuer Hitler, elle a donc pour but de l’envoyer mettre fin à la guerre et de sauver le monde. Sa décision d’envoyer Romain en Allemagne sera finalement abandonnée lorsqu’elle prendra conscience que cet exploit, qui marquerait l’Histoire et qui l’identifierait jusqu’à la fin des temps comme la mère de l’homme qui mit fin à la Deuxième Guerre mondiale, pourrait signifier la perte de son enfant. À ce moment, Mina devait décider si être une héroïne à travers lui était plus important que l’amour qu’elle lui portait. Romain Gary va écrire : « c’est ainsi que je n’ai pas tué Hitler. », afin de témoigner de cette décision finale prise par sa mère, qui fera la lumière sur ses intentions et sur l’amour qu’elle éprouve pour lui.
Gagner la course
Il est indéniable que le protagoniste entretient une relation particulière avec sa mère. Elle se caractérise par un amour passionnel et fusionnel. Mina croit qu’il peut avoir un destin extraordinaire et elle va tout faire pour qu’il se réalise. Les échecs qu’ils vont vivre ensemble vont certainement renforcer leur relation, mais également leur désir de réussite. Romain naîtra au moment où Mina fera un trait sur la carrière dont elle a rêvé. Puis la perte d’un mari et d’un père les liera pour toujours. Romain ne réalisera pas son rêve d’être peintre tout comme Mina ne réalisera pas le sien d’être actrice. « La vie est pavée d'occasions perdues. » Cette citation de Romain Gary pourrait aussi bien s’appliquer à la vie de Romain qu’à celle sa mère, ensemble seuls contre le monde. Voilà ce qui fait en sorte qu’ils développent une relation inégalable à un point tel que, pour Romain, il est difficile de créer des liens avec d’autres femmes, car aucune ne l’aimera jamais autant que sa mère :
Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné […] Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants. [longue citation]
Son échec personnel incite Mina à mettre tous ses efforts pour que l’homme de sa vie devienne quelqu’un et pour qu’elle devienne quelqu’un à travers lui : « Je vois la vie comme une grande course de relais où chacun de nous avant de tomber doit porter plus loin le défi d'être un homme. » Romain a relayé sa mère lorsqu’elle mit ses espérances en lui, et il a accepté de prendre le relais de sa vie. Il gagna la course de leurs ambitions qu’elle n’avait pas été en mesure de finir, et ils réalisèrent ensemble la promesse de l’aube.
Une identité perdue
La première passion de Romain était la peinture. Il rêvait de devenir peintre et était doué : « Je passais de longues heures un pinceau à la main, et m’enivrais de rouge, de jaune, de vert, de bleu. Un jour – j’avais alors dix ans – mon professeur de dessin vint trouver ma mère et lui fit part de son opinion : ˮ Votre fils, Madame, a un talent pour la peinture qu’il ne faut pas négliger. ˮ » Malheureusement, Mina trouvait que ce n’était pas un métier assez prestigieux, en particulier à cette époque de bohèmes où les artistes avaient de la peine à manger. Elle réservait pour son fils un avenir remarquable et c’est ainsi que son destin prit une autre direction que celle dont rêvait ce jeune garçon : « Je me mettais à peindre, ma mère sortait de la chambre, puis rentrait aussitôt, rôdant autour de moi comme un animal inquiet, regardant mon pinceau avec une consternation douloureuse, jusqu’au moment où, complètement écœuré, je laissai mes couleurs tranquilles, une fois pour toutes. » Sa mère a ainsi bafoué son identité et il repensera toute sa vie au peintre qu’il aurait pu devenir si elle n’était pas intervenue pour faire le choix de son avenir à sa place.
Romain a relayé sa mère lorsqu’elle mit ses espérances en lui, et il a accepté de prendre le relais de sa vie. Il gagna la course de leurs ambitions qu’elle n’avait pas été en mesure de finir, et ils réalisèrent ensemble la promesse de l’aube.