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Cédric Demers

 

« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » -Socrate

les lettres chinoises de ying chen

Oeuvre: Les lettres chinoises, Ying Chen

« Pour pouvoir vivre dans un monde civilisé, il faut s’identifier. »

Les sociétés occidentales, particulièrement celles d’Amérique du Nord, sont représentées à travers le monde comme une idylle, où les conditions de vie sont excessivement plus favorables que dans d’autres coins du monde. Les dernières décennies ont vu croître considérablement la migration des peuples d’Afrique et d’Asie vers l’Amérique du Nord, dans l’espoir d’une vie meilleure. L’Occident, en somme, est idéalisé par le reste du monde. Cependant, Les lettres chinoises, de Ying Chen, sont écrites de manière à renverser les idées reçues à propos de ces sociétés.


Le roman Les lettres chinoises est construit autour de la correspondance entre trois jeunes personnes d’origine chinoise. Deux d’entre elles, Yuan et Da-Li, ont émigré au Canada tandis que leur amie Sassa a choisi de demeurer dans sa ville natale, Shanghai. Elles sont donc confrontées à une double identité culturelle. Ces trois personnages portent un jugement critique sur plusieurs aspects sociétaux fondamentaux dans les pays nord-américains. Leur cheminement à travers le Canada, les constats et les réactions dont ils témoignent dans leurs échanges épistolaires permettent de se rendre compte que cette civilisation n’est pas aussi parfaite que ce qu’on leur a fait croire.


La principale différence observée par Yuan et Da-Li est l’individualisme qui gouverne la vie des Nord-Américains. Les gens qu’ils rencontrent sont trop absorbés par leur propre vie pour prêter attention à ce qui se passe autour d’eux. En effet, seules deux rencontres les ont particulièrement marquées lors de leur séjour au Canada: le Canadien qui s’est arrêté pour souhaiter « bonne chance » à Yuan ainsi que la propriétaire de l’appartement où séjourne Da-Li à son arrivée à Montréal. Toutes les autres personnes semblent prisonnières de leur routine, où les actions machinales ont dorénavant une emprise définitive sur leur existence : il n’y a plus d’espace pour laisser entrer d’autres êtres dans leur vie. Cette vision subjective et personnelle de l’individualisme nord-américain culmine lorsque Yuan affirme ceci : « Et si l’idée me prenait de me tuer? On ne viendrait pas m’en empêcher, bien sûr. On m’en accorderait l’entière liberté à condition que je ne dérange pas les autres ». L’affirmation représente cet état d’esprit américain qui fait que la majeure partie de la population est si concentrée sur son propre nombril qu’elle ne remarque pas l’existence d’autrui ni ne s’en soucie vraiment. Le personnage de Yuan, par la suite, oubliera d’envoyer à sa fiancée une carte pour la fête du printemps (un anniversaire très important pour eux) parce qu’il est entraîné dans le rythme de vie effréné dans lequel vivent les Nord-Américains. Ce roman, écrit dans les années 1990, rend ainsi compte des différences sociales entre les pays capitalistes davantage axés sur la liberté individuelle, et les pays communistes qui valorisent principalement la communauté. Cet individualisme est considéré par les personnages principaux comme une décadence de la liberté, valeur que les Américains sont si pressés de défendre.


 

 


 

 

 

 

Finalement, la grande découverte qu’ont faite les personnages lors de leur séjour au Canada est que leurs conditions de vie se sont peu améliorées par rapport à celles dont ils jouissaient en Chine. Malgré les différences évidentes qui distinguent les deux sociétés, Yuan, Sassa et Da-Li réalisent que trop de gens pensent que l’émigration est la solution manifeste à tous leurs problèmes. Ils s’imaginent que leur arrivée en Amérique du Nord leur permettra de trouver un meilleur salaire, de vivre dans une plus grande maison ou de jouir d’opportunités professionnelles plus intéressantes. Malheureusement, il s’avère que les conditions pour les immigrants sont presque aussi précaires que celles auxquelles ils faisaient face dans leur pays d’origine. Le premier exemple de cette réalité sera le moment où Da-Li trouvera un emploi en tant que bibliothécaire à l’université. Elle se fera alors cette réflexion: « Dans cette ville où il y a de nombreuses maisons privées qui coûtent des centaines de milliers de dollars, il y a aussi de nombreuses personnes qui se disputent un emploi qui leur promet un salaire d’au plus cinq ou six dollars de l’heure ». On insinue donc que dans une société aussi industrialisée et développée que celle du Canada, les immigrants ont rarement la possibilité de choisir une carrière qui reflètera leurs compétences et leurs ambitions. La société occidentale se vante d’offrir les meilleures chances de réussite et les meilleures possibilités d’avenir à ses citoyens. Cependant, les nouveaux arrivants se retrouvent contraints d’occuper des emplois qui n’offrent pas nécessairement un salaire très attrayant.


Da-Li, qui tout au long du roman est représentée comme une éternelle optimiste, fait ce constat déplorable après quelques jours à Montréal: il n’y a déjà plus de place pour elle ou pour quiconque venant s’établir en Occident. Le rêve de prospérité qui permet aux nouveaux immigrants de continuer à espérer une vie meilleure n’est que mirage. La vérité, c’est que déménager dans un autre pays ne pourra que très rarement améliorer la situation des nouveaux arrivants. Il y a des emplois, bien sûr, mais surtout pour du travail manuel. Les emplois les plus importants et les mieux rémunérés sont déjà tous pris par d’autres, ne laissant pas beaucoup de chances aux nouveaux arrivants de grimper dans l’échelle sociale. En fait, le système d’éducation dans ces pays n’est pas toujours reconnu en Occident. Un diplôme en ingénierie informatique chinois ne vaut presque rien ici. Pourquoi donc chercher en Occident une qualité de vie illusoire ? Sassa, qui habite dans un quartier rural de Shanghai, se le demande: « Je ne comprends pas pourquoi tant de Chinois veulent quitter leur pays. Ne savent-ils pas que le monde est partout le même? » Cette critique de l’idéal nord-américain bouleverse les idées préconçues sur ce pays. En effet, à quoi bon quitter sa terre et sa famille en quête d’un rêve illusoire qui ne sourira qu’à une infime partie des nouveaux arrivants? Ne serait-il pas préférable de demeurer là où on a été élevé et de tenter d’y trouver cet idéal?

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Ying CHEN. Les lettres chinoises,

Montréal, éd. Léméac, 1998, 142 p.

« Ce roman, écrit dans les années 1990, rend ainsi compte des différences sociales entre les pays capitalistes davantage axés sur la liberté individuelle, et les pays communistes qui valorisent principalement la communauté. »

Contrairement aux habitants des pays orientaux, les Nord-Américains sont portés à consommer beaucoup plus que ce dont ils ont réellement besoin. Da-Li et Yuan constatent la situation dans leurs correspondances avec Sassa. Un grand choc culturel auquel ils sont confrontés est celui des habitudes de consommation des Montréalais. Afin de s’adapter à leur rythme de vie effréné, ils deviennent dépendants des multinationales et ne cessent de consommer en abondance des produits dont ils disposent déjà, dont ils n’ont pas besoin dans l’immédiat, ou qui leur sont tout simplement inutiles. Lorsque Da-Li demande à la femme avec qui elle habite pourquoi elle ne cesse d’acheter dans les épiceries de la nourriture « en spécial » et lui explique que, de cette façon, elle se plie aux besoins des grandes entreprises et ne sert pas ses propres intérêts, elle dit comprendre toute l’absurdité de ses actions : « Seulement, dit-elle, il n’est pas facile d’être toujours raisonnable ». Ainsi donc, elle ne réalise pas que sa consommation excessive est néfaste pour elle-même, pour les autres et pour la planète en général. Les Nord-Américains sont ainsi amenés à céder aux publicités les incitant à surconsommer. Afin de représenter cette réalité, on superpose les habitudes de vie de cette femme à celles de la famille de Sassa à Shanghai. La Canadienne achète autant de denrées pour elle-même que la mère de Sassa en achète pour toute sa famille. En bref, les personnages des Lettres chinoises font la critique de la consommation déraisonnable qui caractérise les Américains en comparant les deux sociétés, permettant ainsi d’exposer les différences de deux systèmes politiques opposés.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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