Rosalie Archambault-Dufourd
« Il est vain de dire que les êtres humains devraient se contenter de tranquillité : ils ont besoin d'action ; et ils la créeront s'ils ne peuvent la trouver. » - Virginia Woolf, Une chambre à soi
Contemplation
18 avril
Toujours, je m’efforce de marcher comme si je savais exactement où j’allais. Dans des endroits nouveaux comme dans ceux auxquels je suis habituée d’aller, je fais semblant de tout connaître. Jamais je ne marche sans but précis. Je simule la confiance de celle qui a une carte de toutes les métropoles du monde gravée dans son cerveau. S’il m’arrive de me perdre, je cache tant bien que mal ma confusion. Pas question de revenir sur mes pas ou de faire demi-tour. De quoi j’aurais l’air? D’une touriste? Qui aime les touristes? Personne. On veut être voyageur, explorateur, nomade. On ne veut pas être touriste.
Seulement un mois et 10 jours me séparent de ma traversée de l’Atlantique. En attendant, je profite de chez moi.
28 avril
Sortie montréalaise avec mon copain. Nous nous dirigeons vers le Vieux Port. Le samedi soir, il y a toutes sortes de personnes dans le métro. C’est certainement le moment de la semaine où les gens font le plus de bruit. On sort entre amis, on se promène de bar en bar, l’alcool fait lever le ton. Le wagon est baigné d’une ambiance joviale, les gens sourient et s’amusent. Toutefois, campé en face de la carte des stations, un couple détonne. L’homme et la femme se querellent en anglais, le nez dans leur Guide touristique officiel de Montréal. L’un tente de convaincre l’autre qu’il faut get off à Sherbrooke. Serrant les dents, la femme insiste pour sortir à Berri. Des touristes, en avril, déjà? L’homme encombre une partie de la porte et empêche les autres passagers de circuler aisément. Long soupir de ma part. Mon copain me demande ce qu’il y a. Je lui pointe le couple de paumés. Il comprend immédiatement. Il connaît mon antipathie pour les touristes. Une fois, il m’a demandé d’où venait cette aversion.
Obnubilés par leurs guides, ils s’arrêtent à tout bout de champ et créent des bouchons interminables.
Ils doivent photographier tout ce qu’ils croisent. Avez-vous vraiment besoin d’un souvenir de chaque pingouin du Biodôme?
Leur attirail général me donne la nausée. Chandail « J’aime Montréal », Stade olympique miniature en guise de porte-clés… Sans oublier la casquette à l’effigie des Canadiens, beau temps, mauvais temps.
Ils mangent mal. Vraiment? McDonald’s? Vous êtes au Canada, faites au moins l’effort de manger chez Tim Horton’s.
La plupart du temps, pas foutus de parler français.
Ils payent des prix exorbitants pour des activités qui n’en valent pas la peine. Vous faut-il réellement une calèche pour visiter le Vieux-Montréal?
Leur présence me fera toujours rouler des yeux, voilà tout.
Station Place-d’Armes. Nous sortons du métro et nous dirigeons vers le Vieux Port. Nous sommes naturellement attirés vers la grande roue toute neuve, entité lumineuse au cœur d’un port sombre et presque silencieux. Au pied du manège, nous nous contentons de l’admirer sans y faire un tour. Même au prix d’étudiant, nous sommes trop cassés pour nous le permettre. Mon copain et moi nous asseyons silencieusement et nous laissons étourdir par la vision hypnotique de cette immense roue bleutée.
29 mai
Paris. Nous y sommes. Je ne peux m’empêcher de comparer cette ville à la mienne. Montréal ci, Paris ça. Les mots glissent de ma bouche presque involontairement. Je n’arrive même pas à faire semblant de connaître les environs. Je tourne en rond, vais et viens sur un faubourg, passe et repasse sur une intersection. Mon regard n’est plus confiant, il est confus. Je retourne sur mes pas, de plus en plus consciente de ma situation. Je suis une étrangère dans cette ville labyrinthe. Je veux être voyageuse, exploratrice, nomade. Pas touriste.
30 mai
C’est au musée du Louvre que j’apprends sans grande surprise que les touristes sont les mêmes partout. Par contre, la densité du tourisme parisien le rend encore plus étouffant, encore plus écrasant. La façon dont beaucoup d’entre ces touristes visitent le musée me révolte. Ils voient les toiles à travers leur écran de téléphone, se contentant de les prendre en photo sans même les admirer, sans même les étudier, puis de passer à l’autre. D’ailleurs, ils ne se gêneront pas pour vous bousculer pour arriver à leurs fins. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour me différencier d’eux. Mais mon pouvoir est limité.
2 juin
Étendue dans le jardin des Tuileries, je repense à la journée d’hier. Je ressasse ma visite à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Je me rappelle cette immense salle et ses détails architecturaux magnifiques. Mais surtout, je repense à ces longs murs couverts de bas en haut par des milliers de livres.
Le soleil embrasse mes joues, je ferme les yeux. Je tente de revivre le sentiment qui m’a tant enivrée en voyant toute cette littérature. Je me revois plantée dans la salle, ébahie par la beauté de la place. Mes pensées qui s’embrouillent. Les paroles de la guide qui s’effacent. Les larmes à mes yeux. Durant ce bref moment, la douleur lancinante de mes pieds a arrêté d’exister. Ma faim a disparu.
Je caresse la pelouse parfaitement entretenue. J’essaie de comprendre ce qui a déclenché une telle réaction, hier. Est-ce la vue d’une telle quantité de livres qui m’a touchée? Est-ce le fait que je me trouvais dans un endroit historique? Ou est-ce la sensation que j’étais dans le bon endroit?