Mélina Legresley
« Une pièce sans livres, c’est comme un corps sans âme » Cicéron (Marcus Tullius Cicero)
Lettres dangereuses
Oeuvre: Les liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos
« Le libertin est sans pitié pour la faiblesse, pour la pudeur, pour l'innocence. »
Journal intime, Henri-Frédéric Amiel
C’est cet état d’esprit que traduit le roman de Laclos. Il faut dire que le libertinage est l’un des thèmes principaux de ce roman épistolaire, dans lequel s’entremêlent des personnages libertins, et d’autres qui ne le sont pas. Bien qu’on associe souvent le libertinage à des plaisirs sexuels, dans le cas de ce roman le libertinage fait surtout allusion au jeu de séduction. En effet, il va sans dire que ce jeu libertin, auquel se prêtent notamment le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil, découle plutôt d’une recherche de pouvoir, comme l’écrit si bien le Vicomte dans sa quatrième lettre : « Mais de plus grands intérêts nous appellent; conquérir est notre destin ». Un peu comme l’aura fait Sade dans La philosophie dans le boudoir, le Vicomte et la Marquise livreront leurs leçons de libertinage à d’autres personnages, afin de les attirer dans leur univers pervers. Leurs lettres sont très révélatrices du pouvoir que peuvent avoir la littérature et les mots sur d’autres personnages.
La duplicité de la Marquise de Merteuil
Par son titre, on voit que la Marquise est une femme d’importance et en effet, elle l’est. Son intelligence et sa duplicité feront d’elle la plus encline à gagner au jeu du libertinage. Le but de leur jeu est de faire entrer dans leur monde de libertinage d’autres gens moins dépravés qu’eux. La Marquise de Merteuil prendra pour cible la jeune Cécile Volanges, tandis que le Vicomte de Valmont se chargera de la Présidente de Tourvel. La duplicité de la Marquise se traduit par son aptitude à camoufler en tout temps ce qu’elle pense réellement. Il leur faut donc se méfier d’elle. Est-ce que ce qu’elle dit est véridique ou non ? Est-ce ce qu’elle pense réellement ou non ? On ne peut jamais tout à fait savoir. Quand elle écrit, dans la 21ème lettre, qu’elle est « souvent tentée d’en faire [son] élève », en parlant de Cécile, on voit bien que la Marquise compte faire de sa protégée une femme libertine, afin qu’elle sombre elle aussi dans la dépravation.
Cécile Volanges
Cécile Volanges est « l’élève » de la Marquise. Leur correspondance révèlera toute la nature de leur relation, c’est-à-dire que la jeune fille voit en la Marquise de Merteuil une véritable amie, une confidente, à qui elle n’a pas peur de tout dire. Cela jouera d’ailleurs contre elle. En effet, la Marquise finira par dévoiler à la mère de sa protégée qu’elle voit le Chevalier Danceny en secret, ce qui mettra donc fin à la relation entre Cécile et son chevalier. Innocente dans sa manière d’aimer et de s’exprimer, c’est la Marquise qui se chargera d’apprendre à Cécile l’art de l’écriture, tandis que le Vicomte se chargera de son éducation libertine. Dès le moment où ces deux personnages apparaîtront dans sa vie, Cécile passera de la gentille fille de couvent à la libertine pure : « je sentis que plus cette fille serait humiliée, plus j’en disposerais facilement » (lettre 20). La Marquise écrira ceci au Vicomte en parlant de Cécile, et c’est avec cette phrase qu’on comprend tout le jeu de manipulation qui passera par les mots de la Marquise.
La Présidente de Tourvel
Fidèle et très proche de ses sentiments, la Présidente de Tourvel est la seule qui ne succombera pas totalement au monde du libertinage, bien que son amour pour le Vicomte finisse par la changer. Son mari ne sera pas du tout présent ni mentionné dans les lettres, sinon pour rappeler au Vicomte qu’elle est prise, et sa fidélité fera d’elle la plus prude des personnages. Si elle ne se donnera jamais vraiment au Vicomte comme le fera Cécile, son amour pour lui finira par la rendre complètement folle et la tuera même.
Les liaisons dangereuses de Laclos présente donc une véritable évolution psychologique des personnages, non pas seulement par la façon dont le libertinage les affecte, mais surtout par leurs comportements changeants. Dans le cas de la Présidente et de Cécile, c’est d’abord l’amour qui finira par les changer, avant que le libertinage ne les atteigne, elles aussi.
Le Vicomte de Valmont
« Quand il ne serait, comme vous le dites, qu’un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-même une liaison dangereuse? »
C’est ce qu’écrit Madame de Volanges, la mère de Cécile, à la Présidente de Tourvel au sujet du Vicomte à la lettre 32, et cette phrase le caractérise bien. «Danger des liaisons» signifierait que Valmont est un homme qui a eu beaucoup de liaisons libertines, ce que Madame de Volanges désapprouve totalement. Elle conclut ensuite en supposant qu’il serait, en fait, lui-même la liaison dangereuse. Et c’est vrai, en partie. Comme la Marquise de Merteuil, il possède lui aussi cette duplicité et cette double personnalité qui font de lui le libertin qu’on connait. Avec son habileté à manipuler le langage, il réussit à séduire Madame de Tourvel petit à petit, bien que cette dernière se refuse à lui. On ne sait d’ailleurs pas réellement ce qu’il éprouve pour elle. Son amour pour la Présidente est-il réel ou faux ? De ce fait, il est probablement le plus roué des personnages, par sa duperie. À un certain endroit, le jeu entre la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont se renverse, mais, à tous les coups, ils sont aussi libertins l’un que l’autre.
Les liaisons dangereuses de Laclos présente donc une véritable évolution psychologique des personnages, non pas seulement par la façon dont le libertinage les affecte, mais surtout par leurs comportements changeants.