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Mathilde Rivard

 

Littéraire, coureuse, improvisatrice, féministe, végane, indignée (mais pas assez, des fois).

Mouche à feu

La flamme

Décrire une flamme qui perce la gorge de toute sa voix, une brûlure laissée sur la langue, la gerçure des doigts écrivains, poétiser toute une vie, déformée par la fourberie des souvenirs, tout cela la talonne, l’écriture est affaire pressante, autrement l’idée disparait et le poème avorte.

Elle a le visage écrasé dans ses mots, ils s’énervent, décrivent les élans de son existence, elle les regarde faire, la sueur de ses mains inonde le crayon, elle a la tête fiévreuse, elle a le dos qui s’incline, elle a les pieds qui se tortillent, elle a les mots, elle a des poèmes, elle a toujours des poèmes.

 

Elle écrit en chœur, elle écrit groupée, elle jette une encre neuve et s’ajoute au Texte.

 

Il lui arrive de se dire qu’elle aurait voulu peindre plutôt qu’écrire, les images survivent au passage du temps bien plus que la langue, remarque-t-elle, mais elle est incapable d’illustrer par gros traits, ne sait qu’imaginer des lettres fines, minuscules, un univers entier en vingt-six images. Il aurait fallu agir dès l’enfance, briser le tison dans le creux de ses côtes lorsqu’elle voyait des mots, la reliure des livres, alors qu’elle versifiait ses rêves, il aurait fallu applaudir le graphisme et dénigrer les lettres, ainsi, dès le départ, elle aurait gagné en longévité, le dessin faisant d’elle une universelle sans langue première. Personne ne lui a montré autre chose pourtant, alors le tison s’est répandu et maintenant c’est un feu qui habite sa cage thoracique.

 

L’incandescence

Une foule se trémousse autour d’elle. Une foule lui fait dos, préfère célébrer la musique et s’embraser sur le rythme. Une foule l’entraine dans son mouvement de masse qui la traverse, une foule ne perçoit d’elle qu’un fantôme, mais elle ne parle pas, supporte son silence plus mal que tous les autres et pourtant le maintient, ne se perche pas plus haut qu’eux, les regarde.

Après un moment, elle n’entend plus rien, ne sent que les vibrations des pas des autres, ils dansent toujours, des gens à qui elle aurait voulu parler, qu’elle aurait voulu voir venir à elle, voir la toucher, la reconnaître, sans qu’elle n’y fasse rien. Elle aurait voulu se dresser et sourire, qu’en l’espace d’un souffle on se rive à elle, maintenant au centre de la piste de danse, un foyer rassembleur, tueur de solitudes, elle serait devenue une danseuse qui danse avec les autres, et puis là, seulement là, elle croit qu’elle pourrait se passer d’écriture.

 

La fumée

Un monstre gluant, liquide et translucide. Il lui colle au regard comme deux yeux qui savent mieux juger. Il entre par la porte de côté, tel un vieil ami, s’assoit dans le creux de sa tête et s’adonne à tuer la suffisance : plus rien n’est satisfaisant, elle s’écume et ses larmes éteignent le feu. Le monstre lui souligne toute la grammaire qui rêve de s’ennoblir, tout le travail qui lui reste, le monde entier à saisir par le verbe. Rien n’est encore terminé. Voilà qu’elle se démène à saisir toutes les choses qui ont leur mot, qui la regardent, désireuses d’une syntaxe plus fluide, d’une déclaration plus lyrique. Elle accroche le monde aux murs de son corps, pose un regard, incertaine de savoir embellir ce tableau. Puis, un tremblement brouille l’ordre qu’elle lui avait donné, crise incendiaire, elle se couche dans les mots du monde maintenant étendus sans charme, les jette aux ordures, y plonge aussi.

 

L’évacuation

Elle voudrait palper les vers les plus doux, les ranger dans son sac, les écrire quand il faut.

Elle voudrait des poèmes-premiers soins.

Elle voudrait secouer son crayon comme on secoue un pinceau, décorer une toile immense de tous les mots qu’elle connait, juxtaposés dans le désordre, réunis par les liens du Poème.

Elle voudrait écrire sans beauté ni laideur, l’excellence au bûcher, le monstre aussi.

Elle voudrait se lever, faire un feu avec ce qui reste en mots, calciner tout ça et partir.

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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