Félix Maringer
Né le 15 février 1996, Félix Maringer a grandi dans la banlieue tranquille de Blainville. En 2014, il complète un diplôme d’études professionnelles en plâtrage. Voyant qu’il ne souhaitait pas demeurer toute sa vie sur les chantiers, il décide en 2016 de retourner aux études.
Camus et le premier homme
OEUVRE: Le premier homme, Albert Camus
Le 4 janvier 1960, c’est avec beaucoup d’émoi que le monde entier apprend la perte de l’un des grands écrivains du vingtième siècle, Albert Camus. Celui-ci perd la vie dans un accident de la route à bord de la voiture de son ami Michel Gallimard, le neveu de son éditeur, dans laquelle il ne prévoyait pas embarquer. Curieusement, le billet de bus qu’il avait acheté la journée même devait être son moyen de retour. C’est en fouillant dans ses effets personnels que les gendarmes ont découvert un manuscrit ayant pour titre Le Premier Homme. Cette ultime œuvre inachevée d’Albert Camus est publiée 34 ans plus tard par sa fille, mais le sera dans sa version incomplète.
Le Premier Homme est une ébauche autobiographique proposant aux lecteurs des bribes de la vie de Camus. En premier lieu, le personnage de Jacques, qui est sans aucun doute l’alter ego littéraire de l’auteur, enquête sur la mort de son père décédé alors qu’il n’avait qu’un an. Les recherches sur ce père disparu sont entrecoupées de moments précieux et de souvenirs de ses apprentissages. Cette œuvre présente notamment une rétrospective de sa jeunesse, au cours de laquelle il tente de trouver une figure paternelle. Bien que sa grand-mère ait joué un rôle important dans son éducation, elle n’a évidemment pas comblé la place du père. Ce fut son instituteur, prénommé Bernard dans le livre, qui a incarné pour lui une certaine figure paternelle.
Quand Jacques, à 40 ans, réalise que son père n’avait que 29 ans le jour de sa mort et que lui-même en a onze de plus, une rupture se crée. Cette idée impensable que son père ait moins vécu que lui et qu’il ait eu moins d’expérience de vie le trouble :
Et le flot de tendresse et de pitié qui d’un coup vint lui emplir le cœur n’était pas le mouvement d’âme qui porte le fils vers le souvenir du père disparu, mais la compassion bouleversée qu’un homme fait ressent devant l’enfant injustement assassiné – quelque chose ici n’était pas dans l’ordre naturel…
L’idée du premier homme, que Jacques prétend être, vient du fait que son père est mort si jeune qu’il n'a laissé qu’une trace infime de son passage dans ce monde. Jacques ressent alors à son égard de la compassion pour le jeune homme qu’il était. Ce père ne peut être à jamais à ses yeux qu’un jeune soldat qui a péri durant la Première Guerre mondiale. Jacques a vieilli sans avoir vraiment eu le soutien d’un père qui lui aurait assuré son éducation. Ayant compris de lui-même les choses qu’un père montre habituellement à son fils, il se définit alors comme le premier homme, devenant ainsi celui qui distingue par lui-même le bien du mal; celui qui crée sa propre morale.
La mère de Jacques a toujours été près de son fils, mais, au cours de sa jeunesse, elle aura subi, après avoir combattu une maladie infectieuse, des séquelles considérables. Comme celle-ci n’avait pas les aptitudes nécessaires pour jouer son rôle de mère, la grand-mère a volontairement décidé de prendre en main la responsabilité du ménage : « C’était elle qui achetait les vêtements des enfants.
La mère de Jacques rentrait tard le soir et se contentait de regarder et d’écouter ce qui se disait… ». Alors que la mère est peu présente, la grand-mère s’occupe des enfants, s’assure qu’ils aient le nécessaire et les nourrit. La grand-mère est très contrôlante et exige beaucoup de Jacques, mais elle aura, malgré cela, fait comprendre à Jacques certaines notions importantes telles que la valeur de l’argent, l’esprit de communauté ou comment se satisfaire de peu. Cette grand-mère qui a tant donné pour le bien-être du foyer est présentée par Camus comme une femme intransigeante qui a toujours vécu dans la pauvreté et qui ne connaît rien d’autre. Jacques, encore enfant, ayant gardé pour lui une pièce de deux francs, convainc sa grand-mère qu’il l’a échappée dans un cabinet. Celle-ci tente alors de la retrouver dans les détritus. Cet entêtement à vouloir retrouver la pièce fait comprendre à Jacques qu’elle n’agit pas ainsi par avarice, mais par nécessité. Il est conscient qu’elle a besoin de cet argent, mais il garde tout de même cette pièce pour assister à une partie de foot. Il gardera de ce vol un sentiment de honte. C’est donc au travers de certains comportements de la grand-mère, qui semblent parfois excessifs, que Jacques se met à méditer sur des questions morales.
avenir. Pour être certain qu'il réussisse, l’instituteur lui donne des leçons gratuites. La figure paternelle qu’incarne Bernard est donc due aux marques d’affection qu'il a données à Jacques et à toutes les responsabilités qu’il a prises pour que celui-ci réussisse. La grand-mère de Jacques décède alors que celui-ci est adolescent, et son instituteur lègue la responsabilité de son éducation aux professeurs du lycée. Toutefois, Jacques est prêt à trouver son chemin par lui-même. Il devient ainsi le premier homme.
Bien qu’il ait mis des efforts considérables dans ses études et dans ses projets d’écriture, le succès de l’auteur n’aurait sans doute pas eu lieu sans le soutien de l’instituteur qui l’a guidé dans le droit chemin. Dans les dernières pages de l’œuvre, nous pouvons prendre connaissance d’une lettre qu’Albert Camus a reçue de ce père spirituel qu’a été l’instituteur, de son vrai nom Louis Germain. Lettre envoyée en réponse à l’annonce du prix Nobel de littérature de 1957 remporté par l’auteur. Même après des décennies, Monsieur Germain éprouve une énorme fierté et toujours une grande tendresse pour celui qu’il nomme son « petit Camus ».
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Albert CAMUS. Le Premier Homme,
éd. Gallimard, coll. Folio, 2000 [1994], 331 p.
«Ayant compris de lui-même les choses qu’un père montre habituellement à son fils, il se définit alors comme le premier homme, devenant ainsi celui qui distingue par lui-même le bien du mal; celui qui crée sa propre morale. »
L’enfance de Jacques est marquée par un professeur à qui il doit son éducation et la chance inestimable d’avoir échappé à son déterminisme social qu’est la pauvreté. Tout comme son père, l’instituteur de Jacques, Bernard, a combattu durant la Première Guerre mondiale, mais celui-ci en est revenu vivant : « Moi, j’ai fait la guerre avec leurs pères et je suis vivant. J’essaie de remplacer ici au moins mes camarades morts ». Bernard éprouve de la compassion pour son élève qui a prématurément perdu son père. Il accorde à Jacques une attention particulière. L’instituteur, qui est parfois exigeant et autoritaire, se donne comme devoir de guider son étudiant dans le droit chemin : « C’était lui qui avait jeté Jacques dans le monde, prenant tout seul la responsabilité de le déraciner pour qu’il aille vers de plus grandes découvertes encore ». Bernard se donne la charge de convaincre la grand-mère pour que Jacques puisse aller au lycée et se tracer un