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Lysanne Vermette

 

« On rencontre souvent sa destinée par les chemins qu’on prend pour l’éviter ». -Jean de la Fontaine

l'épopée douloureuse d'une marginale

OEUVRE: La cloche de détresse, sylvia plath

 

Demandez à un enfant aujourd’hui ce qu’il souhaitera être plus tard et il vous répondra peut-être astronaute, mathématicien ou encore jongleur. Reposez-lui la même question demain et il est fort probable qu’il vous réponde tout autre chose. Effectuez ce petit manège plusieurs jours de suite et peut-être, je dis bien peut-être que, avec un peu de chance, il vous servira la même réponse avec de la certitude dans les yeux. Ainsi, l’enfant montre-t-il que chaque jour, il découvre la vie sous une facette qu’il ne connaissait pas.


La cloche de détresse

Maintenant, projetez-vous dans un passé relativement récent que sont les années 1950 aux États-Unis, puisque c’est exactement dans cette société, où la religion et l’American Dream sont maîtres, qu’Esther Greenwood évolue. Ainsi, à la question posée précédemment, c’est avec la candeur de sa jeunesse que la protagoniste de l’histoire donnerait cette réponse-choc : « [Je] veu[x] tout être à la fois ».  Dès lors, par l’intermédiaire d’Esther, Sylvia Plath, auteure de La cloche de détresse, nous plonge dans une autofiction qui peint un portrait réaliste et décapant de la société américaine de l’époque.


La cloche de verre

Esther Greenwood, dans le roman, partage avec ses lecteurs et lectrices la difficulté de goûter d’abord au succès, puis de sombrer doucement dans une longue descente aux enfers qui se caractérise par une quête affolante d’identité. Elle proclame du même coup, haut et fort, son refus de faire comme tout le monde, mais surtout, d’être comme tout le monde : mariée et mère de famille. Toutefois, Esther est face à une impasse puisqu’elle refuse de suivre une voie déjà tracée. C’est donc dans une trame douloureuse que la jeune femme ambitieuse et désillusionnée par la futilité du quotidien tentera de survivre dans ce monde réglementé qui ne lui convient pas. Les démarches la briseront d’ailleurs toujours un peu plus en cours de route. La cloche de détresse permet en outre de constater les conséquences de ne pas se plier aux exigences d’une société.


L’emprise sociale

L’exhortation presque tyrannique que doivent subir les jeunes femmes quand vient le moment fatidique du mariage est brillamment exposée dans l’œuvre. Dans cette optique, La cloche de détresse est le parfait miroir des mœurs de l’époque. En effet, à la suite de sa déception amoureuse avec Buddy Willard, son amour de jeunesse, Esther annonce ne pas avoir la force de « recommencer à zéro le processus rasoir des sorties avec les copains des copains des copines. » Ainsi, elle associe les sorties avec les hommes à un mal conventionné et pour cette raison nécessaire. Aussi, c’est en relatant les droits des femmes vivant dans la société américaine de 1950 qu’il n’est pas surprenant de constater que ceux-ci étaient maigres. Par conséquent, à maintes reprises dans le roman, Esther et les femmes de sa génération ne sont réduites qu’au rôle de faire-valoir. Cela veut donc dire qu’une majorité de jeunes conjointes acceptent de sacrifier leur avenir afin de permettre l’épanouissement personnel de leur mari. Dès lors, plutôt que de les encourager à laisser leur empreinte dans la société et de trouver leur propre place dans le monde, on les réduit à une vie déjà toute planifiée. Il n’est donc pas étonnant de voir Esther s’insurger de ces possibilités d’avenir aussi dégradantes et limitées, puisqu’elle souhaiterait pouvoir choisir sa voie plutôt que de devoir se la faire imposer comme la société sait si bien le faire.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

manger ». Ainsi, en ne prenant qu’une seule de ces figues, pour poursuivre la métaphore de Plath, elle devra renoncer à toutes les autres. Au même rythme que ces figues qui « commençaient à pourrir, à noircir et une à une éclataient entre [ses] pieds sur le sol », elle croule sous la pression de ce choix déterminant. C’est d’ailleurs à ce moment précis qu’Esther sombre dans un monde sans joie, ni but, ni couleur.

 


Désespoir

Étant déjà en marge de la société parce que tout son être la supplie de ne pas se plier aux exigences que lui impose l’Amérique conservatrice des années 1950, Esther Greenwood franchit le point de non-retour en tentant de mettre fin à ses jours dans le sous-sol poussiéreux de sa maison. Des suites de cet acte qu’on qualifiera « d’inadmissible » dans son entourage, cette jeune femme visitera psychiatre après psychiatre afin de se soulager de sa maladie. Pourtant, il est clair que les médicaments et les thérapies ne la soigneront pas. C’est plutôt l’atteinte de sa liberté qui pourrait le faire. L’œuvre La cloche de détresse semble donc irrémédiablement habitée par un profond désespoir. Un désespoir si profond qu’il se transposera dans la vie de Sylvia Plath puisqu’elle commettra l’irréparable, seulement un mois après la publication de son roman, en se suicidant, sa dépression nerveuse ayant eu raison d’elle.

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Sylvia PLATH. La cloche de détresse, Paris, éd. Gallimard,

coll. Folio Classique, 1990 [1972], 447 p.

« C’est donc dans une trame douloureuse que la jeune femme ambitieuse et désillusionnée par la futilité du quotidien tentera de survivre dans ce monde réglementé qui ne lui convient pas. »

L'American Dream empoisonné

Définir exactement le grand rêve américain est une tâche bien ardue. Pourtant, pour une jeune femme comme Esther Greenwood qui se perçoit comme le reflet contraire de ce phénomène américain, c’est par une belle métaphore qu’elle parvient à nous donner une idée très précise de sa réalité. Elle décrit ce rêve américain comme un figuier qui, « au bout de chaque branche, comme une grosse figue violacée, fleuri[t] un avenir merveilleux. Une figue représent[e] un mari, un foyer heureux avec des enfants, une autre figue [est] une poétesse célèbre, une autre un brillant professeur et encore une rédactrice en chef célèbre […] il y [a] encore une figue championne olympique et bien d’autres figues au-dessus qu’[elle] ne distinguai[t] même pas ». Tout y est : famille modèle, prospérité individuelle, métier lucratif, réussite personnelle. Devant ces concepts on ne peut plus clairs, la jeune femme ne peut faire autrement que de vivre un grand désemparement : « je suis en train de mourir de faim simplement parce que je ne parviens pas à choisir quelle figue je vais

© 2018 par Sabrina Charron, Mélina LeGresley et Lysanne Vermette. Créé avec Wix.com

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