Sauvanne Soriot
Sauvanne Soriot est une femme de 19 ans qui adore lire et peindre. Elle aimerait pouvoir voyager à travers le monde, en particulier au Japon, apprendre le japonais et avoir la possibilité, et la chance, d’écrire un livre.
Un réquisitoire contre le racisme et l'ostracisme
OEUVRE: Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Harper Lee
En 1960, en plein cœur de la lutte des droits civiques des Afro-Américains aux États-Unis, paraît un roman qui va obtenir, un an plus tard, le prix Pulitzer et qui deviendra par la suite une œuvre culte traduite dans de nombreuses langues : Ne tirez sur l’oiseau moqueur, d’Harper Lee. Jean Louise Finch, dite Scout, la narratrice du roman, se remémore, alors qu’elle est adulte, les trois années les plus marquantes de son enfance, entre six et neuf ans, dans une petite ville fictive d’Alabama, Maycomb, au milieu des années 1930. C’est par le biais de son regard naïf de fillette, venant d’une famille de blancs privilégiés, mais progressistes, que sont mis en lumière le racisme systémique et l’étroitesse d’esprit d’une société conservatrice sudiste.
Défendre les Noirs: quelle honte !
Les lois Jim Crow, mises en place en 1876, restreignent les droits des Afro-Américains, appelés « nègres » à l’époque, pour leur rappeler leur statut d’esclaves par rapport à la suprématie des Blancs. Statut sans cesse rappelé à travers le roman d’Harper Lee. Ce n’est pas tant le rang social ni les conditions des Noirs aux États-Unis que l’écrivaine dénonce ici, mais la mentalité raciste des sudistes, « la maladie chronique » des habitants de Maycomb. Atticus, le père de Scout, prépare la défense de Tom Robinson, un Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Il est l’avocat de l’accusé et a bien l’intention de prouver son innocence, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Selon certains habitants, « [défendre] les nègres » est « quelque chose d’illégal », d’où l’appellation d’« ami des nègres » pour désigner Atticus. C’est Francis, le petit-cousin de Scout, qui crache cette insulte au visage de celle-ci, révélant brutalement à la narratrice le racisme et l’hypocrisie d’une partie de sa famille.
Égaux… pas vraiment ; Mais, surtout, séparés !
Les lois Jim Crow indiquaient que les citoyens étaient égaux, mais séparés. En effet, les Blancs et les Noirs devaient fréquenter des écoles, des églises et des hôpitaux différents. Un jour, Calpurnia, la domestique noire, amène Scout et son frère Jem à l’église des Noirs. Lula, l’une des fidèles, lui fait alors savoir qu’elle n’a pas à « [trimbaler] des gosses blancs ici […] » puisqu’ils ont leur propre église. De plus, le jour du procès de Tom Robinson, les Noirs doivent « [attendre] patiemment aux portes, derrière les familles blanches » pour ensuite rejoindre « les tribunes réservées aux gens de couleurs » dans le tribunal. Dans le Sud, l’application de ces lois s’accompagnait souvent de nombreux lynchages commis par les suprématistes blancs contre les Noirs. Une situation qu’a bien failli vivre Tom Robinson, alors en attente de son jugement. Ce soir-là, Atticus gardait lui-même la porte de la prison, s’interposant ainsi entre les villageois en colère et celui dont ils voulaient se débarrasser. Mais Scout apparut, joviale et inconsciente, et réussit à calmer les deux camps.
Ces mêmes lois ségrégationnistes interdisaient les relations intimes et les mariages interraciaux. Dans le roman, Mr Dolphus Raymond, un propriétaire terrien, n’a pas d’autre choix que de se faire passer pour fou et alcoolique auprès des habitants, car il fréquente les Noirs et est marié à une Noire avec qui il a eu des enfants. Une vie que les gens ne peuvent pas comprendre. Cette interdiction visait à préserver la pureté de la race blanche et à éviter la prolifération des métis, « race » à part qui n’était acceptée ni par les Noirs ni par les Blancs. Être métis est encore plus grave qu’être noir aux yeux des habitants de Maycomb, puisque, d’après Jem : « […] par ici, quand tu as une seule goutte de sang noir, tu deviens tout noir ».
Noir et « […] quand c’est la parole d’un homme blanc contre celle d’un Noir, c’est toujours le Blanc qui gagne ». Quelques jours plus tard, l’accusé, tentant de s’échapper de prison, meurt, le corps criblé de 17 balles. Cette violence, institutionnalisée contre les gens de race noire, était courante à cette époque : « Aux yeux de Maycomb, la mort de Tom était Typique. Comme il était Typique d’un nègre de filer. Typique de la mentalité d’un nègre de ne pas avoir de projet, de ne pas réfléchir à l’avenir, de saisir aveuglément la première occasion qu’il avait trouvée ». L’insistance sur le mot « typique », par l’ajout d’une majuscule emphatique et par sa répétition, met l’accent sur le fait que les préjugés sont lourdement ancrés et complètement banalisés. Jusqu’à l’abolition des lois Jim Crow par la signature de la Loi sur les droits civils en 1964, les Afro-Américains seront ostracisés par la population blanche. Néanmoins, si leur situation s’est quelque peu améliorée aujourd’hui, aux États-Unis et dans le monde, ils continuent d’être méprisés, accusés à tort et sont toujours victimes de violences policières injustifiées. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a longtemps été considéré comme un plaidoyer pour la lutte des droits civiques des Afro-Américains, même si, ironiquement, il a été récemment retiré des programmes de certaines écoles américaines pour propos racistes et injurieux.
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Harper LEE. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur,
Paris, éd. de Fallois, coll. Livre de Poche, 2010, 448p.
« Les lois Jim Crow indiquaient que les citoyens étaient égaux, mais séparés. »
Des préjugés lourdement ancrés
À la fin du procès, Atticus dénonce, dans un dernier discours, les nombreux préjugés entourant les Noirs : « […] que tous les Noirs mentent, que tous les Noirs sont fondamentalement des êtres immoraux, que tous les Noirs représentent un danger pour nos femmes […] ». Cette gradation rythmique et la reprise du segment de phrase « que tous les Noirs » sonnent comme un discours biblique, qui martèle le cœur et fait vibrer l’âme, cherchant à dénoncer la mentalité raciste de Maycomb et de l’Amérique de l’époque. Malgré tout, Tom est condamné, car c’est un